Les volcans sont peu connus pour leurs bienfaits. Ça pourrait changer avec des géologues islandais qui veulent décupler la puissance des centrales géothermiques en creusant jusqu’à des poches de magma.

Surprise

L’objectif du programme de recherche de Krafla, un système volcanique dans le nord de l’Islande, était de tester la performance de la géothermie quand on creusait jusqu’à cinq kilomètres de profondeur, plutôt qu’à deux kilomètres comme c’était l’habitude.

« On a commencé en 2006 et rapidement, on a vu que la température n’était pas normale », explique John Ludden, géologue britannique qui dirige le C.A. du Centre de tests sur le magma de Krafla. « Alors, on a procédé plus lentement. En 2009, on était rendus à 2 kilomètres et il faisait 900 oC. On s’est rendu compte qu’on avait touché une lentille de magma. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE TOURISME ISLANDE

Le volcan Krafla, dans le nord de l’Islande

Normalement, à cette profondeur, il fait plutôt 300 oC en Islande. Au Québec, comme il y a moins de volcanisme, la température à deux kilomètres de profondeur est inférieure à 50 oC.

« On a été vraiment surpris », explique John Stix, géologue de l’Université McGill qui a travaillé avec le Centre de Krafla. « Normalement, le magma se trouve entre quatre et six kilomètres. » M. Ludden a lui-même été professeur de géologie à l’Université de Montréal dans les années 1980 et 1990.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU CENTRE DE TESTS SUR LE MAGMA DE KRAFLA

Centrale géothermique existante à Krafla

La lentille de magma de Krafla a une épaisseur de quelques centaines de mètres et s’étend sur plus de 10 kilomètres. « Elle est probablement reliée à la chambre de magma principale », estime M. Ludden en entrevue téléphonique.

À peu près au même moment, des forages à Hawaii et au Kenya ont aussi trouvé des lentilles de magma à des profondeurs de deux kilomètres. « Mais comme il y a une industrie géothermique très développée en Islande, il n’y a eu une suite à ces recherches qu’à Krafla, dit M. Stix. On y a percé la lentille de magma deux autres fois depuis 2009. »

Fluides supercritiques

La présence de ces lentilles de magma peu profondes permet d’envisager un décuplement de l’énergie générée par les centrales géothermiques, selon M. Ludden. « Normalement, à 300 oC, on a de la vapeur. Mais à 900 oC, la vapeur devient un “fluide supercritique” qui combine les propriétés des gaz et des liquides. La quantité d’énergie produite dans les turbines en surface est multipliée par 10. Un fluide supercritique était l’objectif initial du programme de recherches de Krafla, mais on pensait devoir atteindre une profondeur de 5 kilomètres pour avoir une température de 900 oC. »

Un forage pilote est prévu pour l’an prochain ou en 2026, et une unité commerciale devrait être en service d’ici 2030, selon M. Ludden. « On est en train de boucler le financement de 35 millions US pour le forage pilote. On devrait y arriver. Le premier forage en 2006-2010 avait coûté 20 millions. »

Dans la dernière décennie, les géologues et les ingénieurs islandais ont réglé certains problèmes techniques, énumérés en 2013 dans une édition spéciale de la revue scientifique Geothermics. « On a réussi à maintenir le puits vers la lentille de magma ouvert pendant un an et demi, mais les fluides à cette température et près de la lentille de magma sont très acides, avec un pH inférieur à 1 [un citron a un pH de 2,4]. Alors les tubes n’ont pas résisté. Il a fallu penser à d’autres alliages. »

Autre problème, les injections de fluides fragilisaient le roc enveloppant la lentille de magma. « Normalement, dans une centrale géothermique, on injecte des fluides dans un tube et on récupère des fluides dans un autre tube, dit M. Ludden. Nous avons mis au point un système en U qui fait en sorte que les fluides injectés n’interagissent pas avec le roc. »

Cette interaction avec le roc est similaire à la fracturation hydraulique qui a permis aux États-Unis de redevenir le premier producteur mondial de pétrole. Cela signifie que les centrales géothermiques peuvent déclencher des microséismes similaires à ceux que cause la fracturation hydraulique de l’industrie des hydrocarbures. Ce risque de microséismes a mené à l’abandon de certains projets géothermiques en Europe, notamment à Bâle, en Suisse.

À part en Islande, la production d’électricité géothermique grâce aux lentilles de magma peu profondes pourrait être possible en Afrique, aux Philippines, au Nouveau-Mexique et en Italie, selon M. Ludden. « Si ça marche en Islande, ça pourrait servir à la production d’hydrogène vert qui serait exporté. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE TOURISME NAPLES

Le quartier de Campi Flegrei, à Naples. Des dizaines de milliers de personnes vivent à proximité de lentilles de magma.

Risques

La présence de lentilles de magma aussi peu profondes a des implications importantes pour la sécurité des populations, selon M. Stix. « Avant, on pensait que les volcans de type caldera, comme Yellowstone ou Campi Flegrei, à Naples, avaient des réservoirs de magma très profonds. Mais il est probable qu’il existe des lentilles de magma peu profondes. Ces lentilles pourraient facilement générer de petites éruptions de vapeur et de roc. À Yellowstone, ce n’est pas très problématique. Mais à Naples, des dizaines de milliers de personnes vivent à proximité. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA COMMISSION GÉOLOGIQUE AMÉRICAINE

L’éruption de l’île White en 2019

Une éruption similaire de vapeur est survenue en décembre 2019 dans l’île néo-zélandaise de White, faisant 22 morts. « L’éruption est survenue tout d’un coup, il y avait des marcheurs dans le cratère », note M. Stix.

Un autre objectif du Centre de Krafla est donc de mettre au point un système de détection géophysique des lentilles de magma peu profondes. « Actuellement, il faut forer pour le savoir, dit M. Ludden. Idéalement, on serait capables de faire des analyses géophysiques depuis la surface, ou encore mieux du haut des airs, comme on le fait dans l’industrie minière pour détecter les gisements. »

On pourrait peut-être aussi prévenir les éruptions importantes, avance M. Ludden, qui est président de l’Union internationale des sciences géologiques. « Il serait théoriquement possible de prélever du magma des lentilles peu profondes pour diminuer la pression dans tout le système, dit M. Ludden. Mais on est loin de ce but. »

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En savoir plus
  • 5 gigawatts
    Augmentation de la puissance des centrales géothermiques dans le monde de 2010 à 2021, soit de 11 à 16 GW
    Source : Association géothermique internationale
  • 25 %
    Proportion de l’électricité produite en Islande qui est de source géothermique
    Source : gouvernement de l’Islande
    0,3 %
    Proportion de l’électricité produite aux États-Unis qui est de source géothermique
    Source : USGS
  • 100 mégawatts
    Capacité du premier projet de génération géothermique d’électricité au Canada, à Meager Creek, en Colombie-Britannique, dont l’ouverture est prévue en 2025
    Source : Meager Creek Geothermal Project