Bien soignés, les porteurs du VIH n’ont pas le sida, même si le virus se cache toujours dans leur corps. Mais ils souffrent d’autres maux, notamment cardiovasculaires. Des chercheurs montréalais viennent de démontrer pourquoi.

« Nous identifions une cible de traitement pour diminuer les comorbidités associées au VIH bien contrôlé », explique Madeleine Durand, une épidémiologiste de l’Université de Montréal qui est une coauteure principale de l’étude publiée jeudi dans le Journal of Infectious Diseases. « Plus il y a de protéine gp120, plus il y a de marqueurs d’inflammation. Ce n’est pas un lien de causalité, mais c’est prometteur. Il existe plusieurs molécules qui ciblent gp120. »

Cette protéine gp120 du VIH est étudiée par un autre coauteur principal de l’étude, le virologue Andrés Finzi, lui aussi de l’Université de Montréal, parce qu’elle est liée à la capacité du VIH de se cacher dans des « réservoirs » et de réapparaître quand cesse le traitement de trithérapie. « Il semble que les cellules saines qui ont gp120 à leur surface sont ciblées par le système immunitaire, dit M. Finzi. Le VIH veut tellement éviter que son réservoir soit repéré qu’il envoie le système immunitaire ailleurs. C’est comme un voleur qui déclenche une alarme dans une autre maison que celle qu’il vole, pour que la police aille ailleurs. »

Les deux chercheurs ont décidé de collaborer après une discussion impromptue, il y a quelques années.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉS FINZI

Andrés Finzi, Mehdi Benlarbi (étudiant au doctorat et coauteur de l'étude) et Madeleine Durand

Une étude publiée en 2020 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), menée auprès de 400 000 Américains, montre que les patients dont le VIH est bien traité ont des maladies chroniques dix ans avant les séronégatifs. « Il y a surtout des problèmes cardiovasculaires, notamment des AVC, dit la Dre Durand. Ils perdent la mémoire un peu plus tôt aussi, ont des problèmes de foie, de reins, de poumons, du cancer. »

Essai clinique à venir

Ces comorbidités indépendantes du sida pourraient fort bien être dues à l’inflammation générée par la gp120, selon les chercheurs. « Le VIH est de nos jours l’un des grands modèles de maladies inflammatoires chroniques, dit la Dre Durand. Avant, c’était l’arthrite rhumatoïde, mais aujourd’hui on peut mieux la contrôler. »

Certains antirétroviraux utilisés contre le VIH s’attaquent aussi à gp120, selon M. Finzi. « On prépare un essai clinique pour voir si le fait d’ajouter ces molécules au traitement existant contre le VIH peut diminuer le risque de comorbidités. »

Cet essai clinique de deux ans inclurait des patients ayant plus de 40 ans, ou ayant vécu plus de 25 ans avec le VIH. « On va surveiller les biomarqueurs d’inflammation et les impacts sur les organes, notamment le cœur », dit la Dre Durand. « Il y aura aussi des tests cognitifs. » Les résultats devraient être disponibles en 2028.

Est-ce que deux ans seront suffisants pour voir un résultat ? « Avec les statines [des médicaments anticholestérol], il y a des résultats sur les plaques dans les artères en un an, répond la Dre Durand. On ne pense pas que les effets seront aussi impressionnants que pour les statines, mais deux ans devraient suffire. »

Le lien entre gp120 et l’inflammation a été observé dans une cohorte canadienne de 850 porteurs du VIH suivis depuis 10 ans.

Cette avancée survient alors que les succès de la lutte contre le VIH semblent diminuer le sentiment d’urgence de faire de la recherche, observe la Dre Durand. « Dans le dernier plan stratégique fédéral, on a mis ensemble le VIH et les maladies transmissibles sexuellement et par le sang. On a même enlevé VIH dans le titre. »

En savoir plus
  • 2,7 %
    Proportion des patients séropositifs depuis moins de cinq ans, recevant la trithérapie, qui sont morts en 2021-2022 dans le monde.
    SOURCE : CENTRES DE PRÉVENTION ET DE CONTRÔLE DES MALADIES
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    SOURCE : CENTRES DE PRÉVENTION ET DE CONTRÔLE DES MALADIES