Quand il pleut, les panneaux solaires ne servent à rien. Cela pourrait changer avec le miracle des « nanogénérateurs triboélectriques ». Cette technologie inventée en 2012 génère de l’énergie à partir de mouvements trop légers pour les turbines actuelles.

Il arrive qu’on ait une décharge électrique en touchant une poignée. Ou alors qu’on arrive à faire tenir un ballon léger sur un mur après l’avoir frotté sur ses cheveux. Jusqu’en 2012, le miracle de l’électricité statique n’avait presque aucune application utile. Cela a changé avec une invention de Zhong Lin Wang, ingénieur des matériaux de l’Institut de technologie de Géorgie (Georgia Tech) à Atlanta.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE LINKEDIN DE ZHIQUN DENG

Zhiqun Deng

Les nanogénérateurs triboélectriques qu’a inventés Wang permettent pour la première fois de produire de l’électricité à partir de faibles mouvements.

Zhiqun Deng, ingénieur mécanique au Laboratoire national du Pacific Nord-Ouest (PNNL) à Seattle

« Je travaille moi-même à utiliser cette découverte pour alimenter des drones marins ou des réseaux de capteurs océaniques », souligne l’ingénieur mécanique Zhiqun Deng.

Plus tôt cette année, M. Wang et des collaborateurs ont publié deux études sur des panneaux solaires capables de générer de l’électricité (statique) quand il pleut, en exploitant la friction des gouttes de pluie sur les panneaux. Pour le moment, l’électricité produite est équivalente à l’énergie solaire produite par les panneaux par temps couvert. Il s’agit de dizaines de milliwatts, soit 10 000 fois moins que la production des panneaux solaires par beau temps.

L’a b c de la triboélectricité

L’électricité statique a tôt fait l’objet de recherches, à partir du XVIIe siècle. En 1831, le physicien britannique Michael Faraday a inventé le générateur électromagnétique, qui produit de l’électricité à partir du mouvement d’un aimant. C’est la base de la génération d’électricité par les dynamos des vélos et les turbines des centrales hydroélectriques, entre autres.

« L’électromagnétisme fonctionne à des fréquences élevées, mais pas à des fréquences faibles, comme celles des vagues, des gouttes de pluie et des chocs de la vie quotidienne, par exemple quand on marche sur les planchers », dit M. Deng. Au contraire, « la triboélectricité (électricité statique) utilise ces mouvements et frictions à fréquences très faibles. L’énergie recueillie est modeste, mais la triboélectricité utilise des mouvements très, très répandus ».

La grande majorité des publications sur la triboélectricité impliquent des chercheurs chinois. « Il y a possiblement plus de financement en Chine qu’en Amérique du Nord pour la triboélectricité », estime Ramakrishna Podila, physicien de l’Université Clemson en Caroline du Sud. « Et les chercheurs prestigieux comme Wang [qui dirige l’Institut de nanoénergie et de nanosystèmes de Pékin] ont beaucoup d’influence au sein de l’Académie chinoise des sciences pour diriger le financement de recherche vers la triboélectricité. »

Aux États-Unis et en Europe, les instances publiques exigent davantage de recherche fondamentale avant de financer de nouvelles technologies, selon M. Podila. « Or, il y a beaucoup d’inconnues dans la science fondamentale des nanogénérateurs triboélectriques. C’est le domaine d’études de mon groupe de recherche. Nous développons des modèles dynamiques de mécanique quantique et les validons avec des matériaux atomiquement minces. »

Trois hypothèses ont été avancées pour expliquer le fonctionnement des nanogénérateurs triboélectriques, selon M. Podila. Il pourrait s’agir de particules chargées comme des électrons qui passent d’un matériau à un autre lors de la friction. Ou ce sont des ions, des particules chargées plus grosses, qui font le saut d’un matériau à un autre. Ou alors, de minuscules morceaux de l’un des deux matériaux entrent en contact et pourraient être responsables de la génération d’énergie, en se fractionnant.

Sampada Bodkhe, ingénieure mécanique de Polytechnique Montréal, confirme qu’il y a une énigme – on ne sait pas comment l’électricité triboélectrique est produite sur le plan moléculaire – à la base de l’invention de M. Wang.

Chaussures et filtres

M. Wang a fondé en Chine une entreprise, Nairteng, qui s’apprêterait à mettre sur le marché des filtres à air alimentés par la friction des pieds sur le plancher d’un édifice. Des chaussures accumulant cette énergie, qui peut ensuite être utilisée pour recharger un téléphone, font aussi partie des plans de Nairteng.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE GEORGIA TECH

Zhong Lin Wang montre comment le choc des pas peut générer du courant triboélectrique.

D’autres chercheurs planchent sur des textiles capables de générer de l’énergie triboélectrique grâce aux mouvements de ceux qui les portent. M. Wang a aussi mis au point une sphère à l’intérieur de laquelle une autre sphère bouge au gré des vagues quand le tout est mis dans la mer, générant ainsi de l’énergie triboélectrique. Dans des conférences, le chercheur de Georgia Tech a avancé qu’un réseau de moins d’un kilomètre carré de ces sphères pourrait alimenter une petite ville.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE GEORGIA TECH

Illustration d’une centrale d’énergie triboélectrique marine

M. Deng, de son côté, a testé dans des réservoirs intérieurs des capteurs dont les instruments et l’antenne de télécommunication sont alimentés par le mouvement des vagues.

La prochaine étape, d’ici un ou deux ans, est de faire un test en océan, puis de les utiliser dans des environnements difficiles, comme l’Arctique, où on ne peut pas facilement changer les piles de ces capteurs.

Zhiqun Deng, ingénieur mécanique

Pourra-t-on alimenter des appareils électriques ayant besoin de plus d’énergie, par exemple un électroménager ? M. Deng pense qu’il suffira d’augmenter par un facteur de 100 l’efficacité des nanogénérateurs triboélectriques. « C’est une technologie jeune, alors tout est possible dans la prochaine décennie. »

M. Podila estime de son côté que les nanogénérateurs triboélectriques pourront, au maximum, alimenter des lampes DEL et des appareils électroniques comme des téléphones et peut-être de petits ordinateurs. « Je suis sceptique quant à la capacité à augmenter proportionnellement cette technologie, dit le chercheur de Caroline du Sud. Ils sont bons à l’échelle du microwatt ou du milliwatt. Et il semble y avoir beaucoup de variations d’efficacité avec la température et l’humidité. »

Pression sanguine et intégrité structurale

Mme Bodkhe, quant à elle, travaille sur des capteurs de pression sanguine alimentés par des matériaux piézoélectriques. Ces matériaux génèrent du courant quand ils sont compressés ou étirés.

L’énergie piézoélectrique fonctionne mieux que la triboélectricité si les fréquences des mouvements sont constantes, selon la chercheuse de Polytechnique.

« On pourrait aussi examiner l’intégrité des structures avec des capteurs piézoélectriques. On envoie des ondes dans les structures ; elles alimentent les capteurs, qui analysent ensuite comment les ondes voyagent dans les structures. »

En savoir plus
  • 41 milliwatts par mètre carré
    Génération d’énergie triboélectrique par les panneaux solaires mis au point par Zhong Lin Wang quand il pleut
    Source : Advanced Materials
    37 milliwatts par mètre carré
    Génération d’énergie solaire par les panneaux mis au point par Zhong Lin Wang quand il pleut
    Source : Advanced Materials
  • 100 à 300 watts par mètre carré
    Génération d’énergie solaire par un panneau solaire typique quand il fait soleil
    Sources : Clean Energy Reviews, PV Magazine