Des employés malades sont responsables de 40 % des éclosions de maladies infectieuses liées à des restaurants, selon une étude américaine. Ce type de données n’est pas disponible au Canada, mais la pandémie a suscité une réflexion pour prévenir de telles situations.

L’étude des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) du gouvernement américain, publiée fin mai dans le bulletin hebdomadaire de morbidité et de mortalité (MMWR) de l’agence fédérale, portait sur 875 éclosions de maladies infectieuses liées à des restaurants entre 2017 et 2019.

Transposés à l’échelle du Québec, ces chiffres signifient qu’il pourrait y avoir ici une dizaine d’éclosions de maladies infectieuses liées à des restaurants chaque année.

Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), responsable des inspections sanitaires dans les restaurants, tient compte de l’état de santé des employés lors de ses inspections, selon Francis Roberge, porte-parole scientifique. « Mais on ne voit pas ça souvent dans les rapports d’inspection », dit-il.

L’an dernier, il y a eu 2400 signalements au MAPAQ pour des toxi-infections alimentaires, qui ont tous fait l’objet d’enquêtes. Mais il n’y a pas de données sur l’état de santé des employés des établissements visés par ces enquêtes.

« Autrefois, on avait des bilans avec ce genre de statistiques, mais le dernier date de 2014 », dit M. Roberge. Pourquoi ? « Les personnes de l’époque n’étant plus présentes au Ministère, nous n’avons pas la raison de cette décision », explique Yohan Dallaire Boily, relationniste au MAPAQ.

Dans ce bilan de 2014, on voit que 57 % des 1586 signalements de toxi-infections alimentaires pour cette année-là sont liés à des restaurants et ont donné lieu au total à 4185 cas de personnes malades. De ce nombre, 117 sont des signalements dont l’agent viral n’est pas identifié, une catégorie qui est présumée liée à des employés malades, selon le rapport de 2014.

On mentionne spécifiquement qu’un employé travaillant chez deux traiteurs de Québec serait responsable de deux éclosions de maladies infectieuses ayant touché plus de 300 personnes à la mi-juin 2013.

COVID-19

La richesse des données des CDC frappe les experts québécois. « Je n’ai jamais vu ce genre de chiffres », indique Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec (ARQ), en réaction à l’étude des CDC.

On a beaucoup pensé à ce type de questions durant la pandémie. Mais ça ne s’est pas étendu à d’autres maladies que la COVID-19.

Martin Vézina, vice-président, Association Restauration Québec

Malgré l’absence de chiffres sur la réalité du Québec, certains établissements sont proactifs contre ce fléau.

Au groupe MTY, qui exploite des enseignes comme Ben & Florentine, Mikes et Casa Grecque, les inspections sanitaires internes incluent des questions à propos de la gestion de la santé des employés. « Chaque fois, il y a un audit de base du gestionnaire de district dans chaque établissement », explique le responsable de l’hygiène et de la salubrité de MTY pour le Canada, André Provost. « L’une des dix questions porte sur la santé des employés. Il y a, en plus, trois ou quatre fois par année, des inspections par un groupe à l’externe qui incluent cette question. »

Congés payés

M. Vézina, de l’ARQ, pense toutefois que le problème est moins grave au Québec qu’aux États-Unis, à cause des congés de maladie prévus par les lois du travail. Michael Libman, spécialiste des maladies infectieuses au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), abonde dans le même sens.

Si un employé peut prendre un congé payé quand il est malade, il est moins susceptible de rentrer travailler et d’infecter des clients du restaurant.

Michael Libman, spécialiste des maladies infectieuses au Centre universitaire de santé McGill

Le DLibman n’a pas vu lui non plus de données canadiennes semblables à celles des CDC.

Une étude américaine confirme que des congés payés limitent les éclosions liées à des employés malades. Publiée en 2021 dans la revue Health Affairs par des chercheurs de l’Université de Californie à San Francisco et de l’Université Harvard, elle calcule que l’instauration par la chaîne Olive Garden de congés de maladie payés (1 heure pour 30 heures travaillées, soit au moins une semaine par année) en 2020 a permis de réduire de moitié la proportion de ses employés qui allaient travailler malades.

Chez MTY, les restaurants détenus en propre par le groupe ont des politiques de congés de maladie « qui dépassent les normes du travail », selon M. Provost. « Mais on ne peut pas dicter des politiques d’emploi aux franchisés. »

Discrimination

L’étude parue fin mai portait une grande attention à cinq symptômes qui, normalement, doivent pousser un employé de restaurant à ne pas se rendre au travail : vomissements, diarrhée, jaunisse, mal de gorge avec fièvre, lésion purulente.

Seulement 23 % des restaurants énuméraient les cinq symptômes dans leurs politiques encadrant le travail des employés. Or, dans les restaurants où les cinq symptômes sont mentionnés dans les politiques (par exemple, le document de formation initial), il y a moins d’éclosions, selon des études antérieures des CDC. Le « guide du manipulateur d’aliments » du MAPAQ énumère tous ces symptômes sauf le mal de gorge.

En savoir plus
  • 22 %
    Réduction du risque d’éclosion de maladies infectieuses dans les restaurants, dans les régions des États-Unis qui ont des congés de maladie universels dans leur code du travail
    Source : American Journal of Preventive Medicine (2017)
  • 58 %
    Proportion des employés de restaurants qui ont des congés de maladie payés
    aux États-Unis
    Source : Health Affairs