Il existe des endroits sur Terre dont les conditions peuvent s’apparenter à celles qu’on retrouve sur d’autres planètes. L’étude de ces régions, qu’on appelle des analogues planétaires, représente une mine d’or d’information pour les scientifiques.

Dans quelques semaines, Daniel Fillion mettra le cap sur l’Antarctique pour son projet de doctorat à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski de l’UQAR. Il part étudier le lac Untersee, situé sous une couche de glace qui mesure quatre mètres d’épaisseur l’été. C’est ce qu’on appelle un lac sous-glaciaire.

En entrevue, Daniel Fillion explique qu’il s’agit d’une glace « permanente ». « Elle ne dégèle pas pendant l’été », précise-t-il.

On trouve des lacs sous-glaciaires ailleurs qu’en Antarctique. On en trouve aussi… dans l’espace.

L’étude des lacs sous-glaciaires sur Terre nous permet de faire des liens avec des corps célestes comme Europe, l’une des lunes de Jupiter, qui en possède aussi.

Daniel Fillion, doctorant à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski de l’UQAR

Les endroits sur Terre où sont dupliquées une ou plusieurs conditions d’un corps céleste sont appelés analogues planétaires. Ces environnements sont dits « extrêmes », puisqu’ils sont souvent très froids, ou encore très arides. Mais surtout hostiles.

Puisque l’exploration spatiale est coûteuse en argent, en temps et en ressources, il n’est pas réaliste d’organiser plusieurs missions par année. Heureusement, l’étude des analogues planétaires nous permet de mieux comprendre le cosmos.

« J’ai toujours trouvé l’idée élégante, souligne l’étudiant-chercheur. C’est assez ironique et paradoxal qu’on puisse étudier l’univers et les corps célestes à partir de la Terre. »

Un lac pas comme les autres

Le lac Untersee est assez particulier. On y trouve des concentrations anormalement élevées de méthane. Si élevées qu’il pourrait être le lac le plus concentré en méthane sur Terre. « Personne ne peut expliquer ces concentrations, précise Daniel Fillion. Ça reste un mystère. »

Pour élucider cette énigme, le chercheur devra transpercer l’épaisse couche de glace pour récolter des échantillons d’eau qu’il analysera ensuite en laboratoire.

Il passera trois mois dans une tente au milieu de ce désert de glace. Cette mission demande beaucoup de préparation. Le protocole doit être réglé au quart de tour. « J’ai l’impression d’être un astronaute qu’on va envoyer sur Mars ! », lance-t-il.

Daniel Fillion souligne d’ailleurs que des bactéries vivent dans le lac Untersee. « Ça confirme que la vie peut se développer dans des environnements extrêmes », souligne-t-il. Mais il ne faut pas sauter trop vite aux conclusions quant à la vie extraterrestre, estime le chimiste.

« Il est impossible de répliquer parfaitement sur Terre les conditions qu’on retrouve dans l’espace. Les analogues planétaires comportent tout de même certaines limites. »

Les analogues planétaires, des outils précieux

Les analogues planétaires ont plusieurs utilités, selon Richard Léveillé, professeur au département des sciences de la Terre et des planètes à l’Université McGill. « Ils servent tout d’abord à approfondir les connaissances scientifiques, en étudiant les environnements extrêmes. Mais ils servent également à préparer les missions spatiales. »

Cette préparation comprend notamment la mise à l’épreuve de diverses technologies dans des environnements hostiles et difficiles. « La NASA se sert des analogues planétaires pour tester des prototypes de robots, mais aussi pour préparer les équipes scientifiques en évaluant comment elles prennent les décisions et comment elles communiquent. »

Le géologue, qui est également membre de l’équipe scientifique de deux missions de la NASA, étudie principalement des analogues de la planète Mars. Ces sites se situent notamment en Islande, à Hawaii, dans les régions volcaniques des États-Unis et dans l’Arctique canadien.

PHOTO FOURNIE PAR RICHARD LÉVEILLÉ

Un lac glacio-volcanique qui se trouve sur le volcan Kverkfjöll, en Islande, site analogue de la planète Mars.

« On peut comparer Mars à un désert très froid et très sec, note le chercheur. Aucun endroit sur Terre n’y est parfaitement identique. »

Très froid, c’est le moins qu’on puisse dire. On estime qu’il fait entre -80 °C et -20 °C sur Mars. Et on y trouve des calottes glaciaires à chacun des deux pôles. « Comme sur Terre, il y a des saisons sur Mars, note Richard Léveillé. Près de l’équateur, pendant l’été, on peut enregistrer des températures qui vont au-dessus de 0 °C. »

Mais même au-dessus du point de congélation, la planète rouge ne renferme pas d’eau douce sous forme liquide. Du moins, pas aujourd’hui.

« Le robot Curiosity de la NASA a démontré qu’il y a 3,5 milliards d’années, un lac d’eau douce était présent sur Mars, explique le chercheur. Il y a également des traces de la présence passée de rivières et peut-être même d’un océan dans l’hémisphère Nord. »

Richard Léveillé n’écarte pas non plus la possibilité qu’il y ait actuellement des lacs sous-glaciaires d’eau salée sur Mars, ou même des eaux souterraines. Malheureusement, pour le moment, les robots qui s’y trouvent peuvent seulement forer le sol jusqu’à 10 centimètres sous la surface. « On veut avoir accès aux couches plus profondes, mais ce n’est pas facile de forer avec un robot. D’où l’intérêt d’étudier les lacs qu’on retrouve sous la glace sur Terre. »

L’affaire Vostok

Le lac Vostok est le plus long et le plus profond lac sous-glaciaire d’Antarctique. Situé sous une couche de glace de quatre kilomètres d’épaisseur, il a été isolé des humains, de l’atmosphère et du Soleil pendant plus d’une dizaine de millions d’années.

Dans les années 1980, une équipe de scientifiques russes s’est donné comme mission de l’atteindre pour déterminer s’il contenait de la vie. Les chercheurs ont dû percer les 3768 mètres de glace qui le recouvraient. Le forage a débuté en 1989, mais s’est arrêté neuf ans plus tard, alors qu’ils étaient à 188 mètres du but. « Leur équipement de forage était alimenté au kérosène, explique Daniel Fillion en entrevue. Il y avait donc une possibilité de contamination du lac aux hydrocarbures. »

Le temps d’élaborer des stratégies alternatives, les Russes ont cessé leurs activités de forage jusqu’en 2006. Le 5 février 2012, ils ont finalement atteint le lac Vostok. En 2013, la communauté scientifique a annoncé qu’elle y avait trouvé une grande diversité d’organismes. Mais en raison des opérations houleuses ayant mené à ces résultats, cette découverte demeure controversée.