(Washington) Il y avait foule, début mars au congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), pour la conférence où trois sommités dissertaient sur l’énigme de l’impact de la COVID-19 sur le cerveau. Leur conclusion la plus inquiétante : certaines infections accéléreraient des troubles neurodégénérescents sous-jacents.
Odorat et confusion
Les problèmes d’odorat ont été le premier symptôme neurologique qui a inquiété la population durant la pandémie, selon Kiran Thakur, neurologue de l’Université Columbia qui a publié plusieurs des études les plus importantes sur la neurologie de la COVID-19. « Ensuite, on a parlé de problèmes de concentration et de mémoire. Mais finalement, ces problèmes s’atténuent au fil des mois. »
Les atteintes à l’odorat sont les plus lentes à partir, mais après un an, c’est très rare qu’elles persistent. Le problème que l’on voit apparaître, c’est l’impact à long terme de la confusion qu’on observe chez un tiers des patients âgés hospitalisés pour la COVID-19.
Kiran Thakur, neurologue de l’Université Columbia
« Il est très difficile de distinguer l’effet de la maladie de l’effet de l’hospitalisation. Mais il semble qu’il y ait un effet direct de la COVID-19 sur la qualité de vie à long terme chez les personnes âgées. Il faut profiter de l’abondance de données sur les patients de la pandémie pour aller au fond de la question », souligne la chercheuse.
Parkinson
Stanley Perlman est un microbiologiste de l’Université de l’Iowa qui consacre sa carrière à l’étude des problèmes d’odorat liés aux coronavirus. « On a longtemps soupçonné que certaines infections causaient des dommages aux voies respiratoires, dit le Dr Perlman. Mais il était difficile d’étudier la question chez l’humain, parce qu’il s’agit de symptômes bénins et que la plupart des problèmes d’odorat sont transitoires et dus à la congestion nasale. Mes travaux sur la souris m’ont mené à penser qu’il pouvait y avoir des dommages neurologiques. Avec la COVID-19, j’ai pu montrer que ce n’est pas seulement aux voies respiratoires, mais aussi dans le cerveau. Chez les modèles animaux de COVID-19, on voit par exemple des atteintes au système de la dopamine [une molécule du cerveau liée à plusieurs problèmes psychiatriques et neurologiques] et des troubles neurologiques de locomotion. J’ai récemment déterré des rapports de cas de Parkinson plus fréquents chez les victimes de cas graves de grippe espagnole en 1918. »
Avindra Nath de l’Institut national des troubles neurologiques, à Bethesda, en banlieue de Washington, va plus loin. « La grande question qu’il faut étudier sur le plan des impacts neurologiques de la COVID-19 est la possibilité qu’elle accélère certaines maladies neurodégénératives », dit le Dr Nath, qui a été l’un des premiers à décrire des symptômes neurologiques de la COVID-19, en 2020. « Il faut aussi voir comment la vaccination influence ce risque de neuropathogénèse. »
Barrière hémato-encéphalique
L’une des grandes énigmes des impacts neurologiques de la COVID-19 est qu’on ne trouve presque pas de fragments de SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la COVID-19, dans le cerveau.
Il ne semble pas traverser la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau. On en voit près des neurones du nez, mais c’est à l’extérieur du cerveau.
Le Dr Stanley Perlman, microbiologiste de l’Université de l’Iowa
« Il semble que dans les premiers stades de la COVID-19, quand il y a une “tempête de cytokine” [une réaction immunitaire très forte], la barrière hémato-encéphalique est perturbée, explique le Dr Perlman, mais ça ne semble pas mener à une pénétration du SARS-CoV-2 dans le cerveau. »
Une dérégulation à long terme du système immunitaire est l’une des deux explications possibles des effets neurologiques à long terme, selon le Dr Nath. « L’autre explication serait une persistance du SARS-CoV-2 dans le système nerveux central ou les voies respiratoires, mais il faudrait qu’il y ait des réservoirs cachés, parce qu’on ne voit pas grand-chose sur le plan populationnel, dit le neurologue du Maryland. Les quelques autopsies du cerveau qui ont été faites chez des patients morts de la COVID-19 ont montré des dommages vasculaires qui pourraient être dus à un trouble auto-immun, des anticorps du système immunitaire qui attaquent les vaisseaux du cerveau ou alors les neurones. Je ne serais pas surpris qu’on voie ces mêmes dommages au cerveau dans les cas de COVID longue, si on fait une autopsie du cerveau après un décès. »
Antiviraux
L’une des avenues de traitement est d’utiliser des médicaments antiviraux, non pour cibler directement le SARS-CoV-2, mais pour stabiliser le système immunitaire.
Les antiviraux semblent avoir un effet neuromodulateur. On a vu chez certains patients des effets bénéfiques à long terme, sur le plan de l’atténuation des symptômes neurologiques de la COVID-19.
Le Dr Avindra Nath, de l’Institut national des troubles neurologiques
« Il se peut que ce soit dû à un retour plus rapide à un fonctionnement normal du système immunitaire, dit le Dr Nath. On a la même piste pour d’autres affections neurologiques liées à des virus. » Après la présentation des trois experts, une bonne partie de la vingtaine de questions pointues posées par des médecins et chercheurs de l’auditoire portait sur ces médicaments. « Par exemple, si on pense que des molécules du système immunitaire attaquent certaines régions du cerveau, on pourrait essayer des médicaments qui bloquent ces molécules », dit le Dr Nath.
Le sida
La pandémie de COVID-19 est l’occasion d’en apprendre plus sur les impacts neurologiques des infections touchant d’autres organes que le cerveau. « On parle depuis longtemps de cas de démence associés au sida, par exemple, dit la Dre Thakur. Mais on n’avait jamais assez de cas pour étudier la question. Avec le SARS [qui a touché Hong Kong et le Canada en 2003] et le MERV, deux autres maladies dues à des coronavirus, on a évoqué des atteintes au cerveau, mais il y avait trop peu de cas pour qu’on en soit certain. Il n’y a pas eu d’autopsie du cerveau. »
La sclérose en plaques
Une autre conférence du congrès de l’AAAS portait sur un domaine similaire : la possibilité que la sclérose en plaques soit étroitement liée à une infection bénigne d’un virus de type herpès, responsable notamment de la mononucléose.
« Je crois qu’on assiste à une découverte similaire à celle des impacts neurologiques de la COVID-19 », a déclaré Alberto Ascherio, neurologue de l’Université Harvard qui a démontré l’an dernier dans la revue Science que le virus d’Epstein-Barr (EBV) augmente de 32 fois le risque de sclérose en plaques, après avoir suivi 10 millions de soldats pendant 15 ans, à partir du début de leur carrière militaire. Plus de 90 % de la population est infectée par l’EBV durant sa vie, mais seulement une personne sur 1000 aura la sclérose en plaques. La conférence du Dr Ascherio et de son collègue de Stanford Larry Steinman, qui a découvert les premiers médicaments contre la sclérose en plaques grave, était aussi l’une des plus courues du congrès.
« Je suis persuadé qu’en sachant maintenant le rôle de l’EBV dans l’évolution de la sclérose en plaques, on pourra trouver de nouveaux médicaments, dit le Dr Ascherio. Et je suis aussi en mesure d’affirmer que les gens qui n’ont jamais eu l’EBV ont probablement très peu de risque d’avoir la sclérose en plaques. »
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- De 2 % à 5 %
- Proportion des cas diagnostiqués de COVID-19 qui ont une composante neurologique
Source : Université Columbia- De 40 % à 60 %
- Proportion des hospitalisations dues à la COVID-19 qui ont une composante neurologique
Source : Université Columbia -
- De 50 % à 75 %
- Proportion des patients ayant des atteintes neurologiques de la COVID-19 qui ont des problèmes d’odorat
Source : Université Columbia- De 50 % à 60 %
- Proportion des patients ayant des atteintes neurologiques de la COVID-19 qui ont des maux de tête fréquents
Source : Université Columbia -
- 30 %
- Proportion des patients ayant des atteintes neurologiques de la COVID-19 qui ont de la confusion
Source : Université Columbia- De 10 % à 20 %
- Proportion des patients ayant des atteintes neurologiques de la COVID-19 qui ont des étourdissements
Source : Université Columbia -
- De 5 % à 10 %
- Proportion des patients ayant des atteintes neurologiques de la COVID-19 qui ont de la faiblesse musculaire
Source : Université Columbia