Pour défendre sa base navale de Sébastopol, en Crimée, l’armée russe utiliserait des… dauphins entraînés. Cette récente révélation de l’Institut naval des États-Unis (USNI) ravive l’indignation quant à l’emploi d’animaux à des fins militaires.

En février dernier, la Russie a placé deux dauphins à l’entrée du port de Sébastopol, dans la mer Noire, vraisemblablement dans le but de protéger la base navale qui s’y trouve. C’est ce qu’a confirmé l’USNI après l’analyse d’images satellites.

Photo MAXAR TECHNOLOGIES, archives REUTERS

Image satellite montrant le parcours de dauphins de l’armée russe dans le port de Sébastopol, en Crimée

Cette base est contrôlée par les Russes depuis l’annexion controversée de la Crimée en 2014. Elle abrite plusieurs navires importants, les positionnant hors de portée des missiles ukrainiens. Les attaques sous-marines y représentent ainsi la plus grande menace.

« Dans un port comme celui-ci, on peut difficilement voir à travers l’eau sombre, explique Andrew Lambert, professeur d’histoire navale au King’s College de Londres. Les Russes avaient besoin de créatures très habiles et potentiellement agressives comme les dauphins pour intercepter tout arrivant hostile. »

PHOTO FOURNIE PAR ANDREW LAMBERT

Andrew Lambert, professeur d’histoire navale au King’s College de Londres

Le dauphin possède une capacité d’écholocalisation parmi les plus sophistiquées du règne animal. Il peut être entraîné à détecter des mines ou à repousser des plongeurs ennemis. « On obtient ces résultats sans investissements technologiques majeurs », souligne Andrew Lambert.

De vieilles pratiques

L’utilisation d’animaux de guerre ne date pas d’hier. Chevaux, éléphants et chameaux ont occupé les champs de bataille dès l’Antiquité. C’est toutefois pendant la Première Guerre mondiale que les pratiques ont considérablement évolué, explique Éric Baratay, professeur à l’Université de Lyon et spécialiste de l’histoire des relations hommes-animaux. « C’est alors la première fois qu’on en emploie en si grande masse. »

Photo tirée de Wikimedia Commons

Toile d’Henri Motte (1878) dépeignant Hannibal et son armée traversant le Rhône à dos d’éléphants

En plus des chevaux, des ânes et des mulets, une centaine de milliers de chiens ont été enrôlés durant la Grande Guerre. Ils repéraient les blessés et guettaient l’arrivée de soldats ennemis. Les pigeons voyageurs, quant à eux, transportaient les messages d’une tranchée à l’autre.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques sont allés jusqu’à entraîner des chiens kamikazes pour faire exploser les chars allemands, alors que les États-Unis ont développé une bombe à chauves-souris.

  • Chameau utilisé sur le front en Palestine en 1918

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Chameau utilisé sur le front en Palestine en 1918

  • Pigeon espion transportant un appareil pour prendre des photos des lignes ennemies durant la Première Guerre mondiale

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Pigeon espion transportant un appareil pour prendre des photos des lignes ennemies durant la Première Guerre mondiale

  • Chien pourvu d’un masque à gaz utilisé pour localiser des blessés sur le champ de bataille lors de la Première Guerre mondiale

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Chien pourvu d’un masque à gaz utilisé pour localiser des blessés sur le champ de bataille lors de la Première Guerre mondiale

  • Chiens de l’armée britannique entraînés pour détecter des bombes durant la Seconde Guerre mondiale

    PHOTO TIRÉE DE L’IMPERIAL WAR MUSEUM

    Chiens de l’armée britannique entraînés pour détecter des bombes durant la Seconde Guerre mondiale

  • Chien du service médical austro-hongrois, 1914-1918

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Chien du service médical austro-hongrois, 1914-1918

  • Éléphants de cirque utilisés pour dégager des débris de la Seconde Guerre mondiale à Hambourg, en Allemagne, en 1945

    PHOTO RICHARD ASH, TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Éléphants de cirque utilisés pour dégager des débris de la Seconde Guerre mondiale à Hambourg, en Allemagne, en 1945

  • Chiens pisteurs utilisés pendant la guerre du Viêtnam

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Chiens pisteurs utilisés pendant la guerre du Viêtnam

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Les mammifères marins de guerre sont devenus plus courants à partir des années 1960, lorsque les marines américaine et russe ont mis en place des programmes pour entraîner dauphins, otaries et bélugas.

« L’idée était de mettre sur le dos du dauphin une mine que l’animal irait coller à la coque de bateaux », raconte Éric Baratay. Cette tentative a eu peu de succès. Les programmes d’entraînement russe et américain se concentrent aujourd’hui plutôt sur la protection des navires et des ports.

PHOTO FOURNIE PAR VALÉRY GIROUX

Valéry Giroux, chercheuse en éthique animale au Centre de recherche en éthique et professeure associée à la faculté de droit de l’Université de Montréal

Ces pratiques causent encore des torts considérables aux animaux qui y sont soumis, selon Valéry Giroux, chercheuse en éthique animale au Centre de recherche en éthique et professeure associée à la faculté de droit de l’Université de Montréal. « Puisque ces programmes contreviennent aux droits inviolables dont devraient jouir les mammifères marins, ils devraient être abandonnés. Les maintenir et les développer constitue une discrimination injuste. »

Les temps changent, mais…

Avec l’évolution des technologies et des mentalités, les animaux de guerre sont nettement moins nombreux qu’au siècle dernier. « Ça devient de plus en plus difficile au niveau de l’opinion publique d’utiliser des animaux, remarque Éric Baratay. Il faut vraiment le justifier. »

PHOTO FOURNIE PAR ÉRIC BARATAY

Éric Baratay, professeur à l’Université de Lyon

Le chien, toujours employé par bon nombre d’armées, dont celle du Canada, est aujourd’hui l’animal le plus sollicité. Ses fonctions incluent la détection de bombes et d’ennemis.

Il est cependant difficile de tirer un portrait complet de la situation, l’entraînement d’animaux pouvant faire partie des programmes secrets de certaines armées.

  • Un berger allemand de l’armée américaine en Irak en 2007

    Photo Sgt. Stacy L. Pearsall, tirée de wikimedia Commons

    Un berger allemand de l’armée américaine en Irak en 2007

  • Un chien et son maître peu avant une opération militaire en Irak en 2007

    Photo SGT. STACY L. PEARSALL, tirée de wikimedia Commons

    Un chien et son maître peu avant une opération militaire en Irak en 2007

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Ces bêtes ont-elles des droits encadrant leur utilisation comme matériel militaire ? « La réponse courte est non, affirme Andrew Lambert. Parce que personne n’a déterminé qui vous poursuivra pour avoir employé des animaux de guerre. »

Chaque État impose ses propres réglementations sur le traitement des animaux.

Notre Code criminel, au Canada, interdit de leur infliger de la douleur non nécessaire ou de les tuer sans excuse légitime. Ces protections sont restreintes, puisque tout ce qui est conforme aux normes de l’industrie, y compris le domaine militaire, est considéré comme nécessaire.

Valéry Giroux, chercheuse en éthique animale à l’Université de Montréal

Le maintien de ces normes et pratiques est un enjeu sensible, alors que la guerre apporte déjà son lot d’atrocités humaines. « Il me semble toutefois important d’éviter de tomber dans une logique de comparaison des souffrances », nuance Valéry Giroux. La chercheuse insiste sur l’importance « d’exprimer toute l’indignation appropriée face aux effets désastreux de la guerre sur les victimes humaines, tout en dénonçant l’invisibilisation des autres dommages, y compris ceux que subissent les animaux ».

« Je ne sais pas si nous sommes collectivement prêts pour ce débat sur les animaux de guerre, mais je sens que nous allons devoir l’avoir », conclut Andrew Lambert.

Quelques autres animaux de guerre modernes

Photo archives Agence France-Presse

Magawa, un rat démineur décoré en 2020 pour services rendus en Afrique du Sud

  • Aigles : Certaines armées ont recours à l’aigle, naturellement doté d’un instinct de chasseur. Le rapace a une vue perçante et une grande robustesse. Les forces françaises ont ainsi recruté des aigles royaux en 2017 pour les dresser à combattre les drones.
  • Rats : Au Mozambique et au Cambodge, des rats font office de démineurs. En plus d’être relativement abordable et facile à transporter, le rongeur est doté d’un odorat très développé. Il peut ainsi sentir des explosifs comme les bombes et les mines au sol.
  • Chèvres et cochons : L’entraînement de médecins à la chirurgie militaire peut se faire sur des chèvres ou des cochons mutilés. Au cours des dernières années, plusieurs organisations de défense des animaux ont dénoncé de telles pratiques dans des pays comme le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni.
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  • Plus de 16 millions
    Nombre d’animaux qui ont servi durant la Première Guerre mondiale
    Source : Imperial War Museums