La guerre en Ukraine pourrait marquer la fin de la collaboration spatiale entre la Russie et l’Occident. Des ponts ont déjà été coupés, et l’avenir de la Station spatiale internationale est en jeu. Tour d’horizon.

Propulser la Station spatiale internationale

Début mars, le PDG de Roscosmos, l’agence spatiale russe, a rappelé sur Telegram qu’un module russe rétablit l’altitude de la Station spatiale internationale en moyenne 11 fois par année. « Elle pourrait tomber dans l’océan ou sur la terre ferme », a menacé Dmitri Rogozine sur le réseau social russe. La NASA a immédiatement annoncé qu’elle envisageait d’autres solutions que les capsules Progress russes pour propulser la Station spatiale. « Je doute que le gouvernement américain ne mette en danger la coopération avec la Russie pour la Station spatiale », indique John Logsdon, politologue spécialiste de l’espace à l’Université Georgetown, à Washington. « Mais je crois que ça va être le dernier jalon de cette coopération qui dure depuis plus de 30 ans. » Le politologue Eytan Tepper, spécialiste de la gouvernance spatiale à l’Université Laval, note de son côté que l’équipage actuel de la Station spatiale (quatre Américains, deux Russes et un Allemand) a jusqu’à maintenant évité que la guerre affecte son travail.

Les Soyouz de Guyane

PHOTO JODY AMIET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Décollage d’une fusée Soyouz de la base de Kourou, en Guyane française, en décembre 2019

Roscosmos a carrément annulé les prochains lancements de Soyouz cargos depuis la Guyane française. L’Agence spatiale européenne (ESA) utilise la capsule russe parce qu’elle a une capacité intermédiaire entre les deux lanceurs Ariane disponibles. Depuis 2011, une vingtaine de lancements de Soyouz ont été faits depuis la Guyane française, et le lancement de deux satellites de navigation Galileo était prévu début avril.

L’internet satellitaire britannique

PHOTO FOURNIE PAR ROSCOSMOS, ARCHIVES REUTERS

Fusée Soyouz transportant des satellites de OneWeb qui devait décoller du Kazakhstan le 4 mars dernier

Roscosmos a suspendu un lancement qui était prévu au début de mars de 36 satellites de la constellation OneWeb, un service de l’internet satellitaire. Les autorités russes ont exigé que le gouvernement britannique, actionnaire à hauteur de 17 % de OneWeb, vende sa participation. OneWeb a pour le moment plus de 300 satellites et visait à terminer son réseau de 650 satellites d’ici la fin de l’année, avec six autres lancements depuis Baïkonour. Un seul lancement de OneWeb a eu lieu ailleurs jusqu’à maintenant, en Guyane française, et il s’agissait d’une capsule Soyouz.

Les moteurs de fusée russes

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE DAVID SAINT-JACQUES

Une capsule Cygnus amarrée à la Station spatiale internationale par le Canadarm2 en 2019

Deux entreprises américaines, United Launch Alliance (ULA) et Northrop Grumman, utilisent des moteurs de fusée russes RD. Roscosmos a décidé de ne pas honorer ses contrats avec ces deux firmes, ce qui pourrait compliquer l’envoi vers la Station spatiale de capsules cargos Cygnus sur des fusées de Northrop Grumman. ULA, elle, a encore 12 moteurs RD de réserve et est sur le point de recevoir un nouveau moteur développé aux États-Unis. Les moteurs RD ont été interdits d’importation entre 2014 et 2016 aux États-Unis, puis autorisés, malgré l’opposition de SpaceX. Ironiquement, une capsule Cygnus est actuellement amarrée à la Station spatiale pour tester la possibilité qu’elle puisse être utilisée pour rétablir son altitude, en remplacement des Progress.

La mission martienne

IMAGE TIRÉE DU SITE DE L’AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE

Le rover Rosalind Franklin

L’automne prochain, l’atterrisseur russe Kazachok devait partir pour Mars, avec à son bord le rover européen Rosalind Franklin. Fin février, l’ESA a annoncé que la mission ne partirait « probablement pas » en 2022, même si Roscosmos avait souhaité publiquement qu’elle « se poursuive » comme prévu. « Je pense que la mission se poursuivra, il y a eu trop d’investissements », dit Yves Gingras, historien des sciences à l’Université du Québec à Montréal. « La coopération scientifique internationale est trop importante pour être affectée durablement par ce qui se passe en Ukraine. » La mission devait au départ être américano-européenne, mais la NASA s’est désistée en 2012, forçant l’ESA à se tourner vers Roscosmos. Détail intéressant, Kazachok signifie « petit cosaque » (la culture cosaque est née dans le sud de l’Ukraine) et est le nom d’une danse russe. Le rover Rosalind Franklin, nommé d’après une biologiste britannique qui a été impliquée dans la découverte de la structure de l’ADN, comporte aussi des instruments russes.

L’industrie spatiale ukrainienne

PHOTO STEVE HELBER, ASSOCIATED PRESS

Fusée Antares décollant de la base de Wallops Island, en Virginie, le 19 février dernier

L’Occident utilise aussi beaucoup les usines spatiales ukrainiennes, qui emploient 16 000 personnes et construisent 100 fusées par année ainsi que des étages de certaines fusées occidentales, dont l’Antares américaine, selon Space.com. En entrevue avec le site spécialisé, début mars, un ancien chef de l’Agence spatiale ukrainienne, Volodymyr Usov, a indiqué que les usines se trouvent près du fleuve Dniepr, soit au cœur des combats.

En savoir plus
  • 3
    Nombre de cosmonautes russes qui doivent arriver le 18 mars dans la Station spatiale américaine
    SOURCE : NASA