Voir le flux sanguin dans le cerveau à une échelle microscopique, pour faciliter le diagnostic de certaines maladies : telle est la promesse d’une nouvelle méthode d’imagerie ultrasonore, testée cette année pour la première fois chez l’humain.

Des milliers de bulles pour visualiser le cerveau

IMAGE FOURNIE PAR LE LABORATOIRE PHYSIQUE POUR LA MÉDECINE DE L’ESPCI PARIS

Les bulles sont suivies une à une par imagerie ultrasonore, pour reconstruire une carte très détaillée du flux sanguin dans le cerveau. Les couleurs varient en fonction de la vitesse du sang : le bleu foncé correspond à des vitesses très lentes (proches de 0 mm/s), le vert et le jaune à des vitesses intermédiaires (proches de 100-150 mm/s), et le rouge à des vitesses rapides (proches de 250 mm/s). Comme dans une rivière, on remarque à gauche que le « courant » est plus fort au centre qu’au bord du vaisseau.

Cette technique repose sur une injection de très petites bulles, déjà utilisées aujourd’hui par les médecins pour mieux voir le sang en échographie cardiaque. Entraînées par le flux sanguin, ces bulles parcourent tout l’organisme pendant une dizaine de minutes. Pendant ce temps, un échographe enregistre des milliers d’images du cerveau par seconde, comme un appareil photo prendrait une série de clichés en rafale. De puissants calculs sont ensuite lancés pour localiser et suivre chaque bulle d’une image à l’autre, le long des vaisseaux sanguins. À la fin, toutes ces bulles additionnées permettent de constituer une carte extrêmement détaillée du flux sanguin dans le cerveau. Cette méthode utilisant les ultrasons permet de localiser les bulles, pour visualiser les vaisseaux sanguins à une échelle microscopique : d’où son nom, microscopie de localisation ultrasonore.

Mieux voir, mieux comprendre, mieux diagnostiquer

À partir de ce type de carte, il sera peut-être possible de détecter des écoulements anormaux du sang, et de les relier au développement de certaines maladies cérébrales. « C’est un peu comme inspecter la plomberie du cerveau à de nouvelles échelles : on va pouvoir repérer des problèmes de malformations […], des problèmes liés aux accidents vasculaires cérébraux (AVC)… », détaille Charlie Demené, maître de conférences et chercheur au laboratoire Physique pour la médecine de l’ESPCI Paris.

PHOTO DAVID KILLING, FOURNIE PAR MEAGHAN O’REILLY

Meaghan O'Reilly, chercheuse au Centre des sciences de la santé Sunnybrook de l’Université de Toronto

Il y a là un énorme potentiel pour mieux comprendre les maladies, mieux les diagnostiquer, mais aussi pour identifier de nouveaux mécanismes et acquérir de nouvelles connaissances dans notre compréhension du cerveau.

Meaghan O’Reilly, chercheuse au Centre des sciences de la santé Sunnybrook de l’Université de Toronto

Une première chez l’homme

Comme pour une échographie standard, cette méthode ne nécessite ni chirurgie ni radiations, et elle est à la fois transportable et peu coûteuse. Elle est également très récente : la méthode de localisation des bulles s’inspire d’une technique de microscopie en fluorescence à haute résolution, développée au début des années 2000 par Eric Betzig, Stefan W. Hell et William E. Moerner. Ces derniers ont été récompensés pour leurs travaux par le prix Nobel de chimie, en 2014. L’application de cette méthode aux ultrasons a été présentée dans un article de Nature un an plus tard, en 2015. Elle suscite depuis beaucoup d’intérêt dans le milieu de la recherche en imagerie ultrasonore. Pour la première fois, des résultats ont été obtenus chez trois humains et publiés dans un article paru en mars 2021 dans Nature Biomedical Engineering, dont Charlie Demené est le premier auteur.

PHOTO BENJAMIN BOCCAS, FOURNIE PAR CHARLIE DEMENÉ

Charlie Demené, maître de conférences et chercheur au laboratoire Physique pour la médecine de l’ESPCI Paris

Appliquer cette méthode chez l’humain est un véritable tour de force, d’après Meaghan O’Reilly, chercheuse au Centre des sciences de la santé Sunnybrook de l’Université de Toronto et coauteure d’un article sur la microscopie de localisation ultrasonore. L’imagerie ultrasonore repose en effet sur la capacité des ultrasons à traverser les tissus (vaisseaux, muscles, graisse…), afin d’en faire une image. Mais les os restent une barrière difficile à franchir : « Faire cela à travers le crâne humain n’est pas trivial. Le crâne atténue et déforme les ultrasons lorsqu’ils le traversent », explique-t-elle.

Quelques défis restent à relever

Avant de voir cette méthode utilisée quotidiennement par les médecins, « certains défis doivent encore être relevés », ajoute Meaghan O’Reilly.

En raison de l’épaisseur du crâne, les images ont été captées là où l’os est le plus fin, c’est-à-dire à travers la tempe. « On a accès à une partie du cerveau seulement », nuance Charlie Demené. « Il y a encore plein de choses à faire pour passer à travers un os plus épais, et avoir un accès plus direct au cerveau. » Il indique également dans son article qu’à terme, cette méthode pourrait permettre de générer une image 3D très détaillée de l’ensemble du cerveau, et ouvrirait ainsi de nouvelles perspectives.

Le temps de traitement des images pourrait également être optimisé. Pour construire une carte très détaillée, il faut que les bulles aient eu le temps de parcourir tous les vaisseaux sanguins, notamment les plus fins : plus on attend et on prend un grand nombre d’images, plus la carte finale sera détaillée. Or, « pour chaque seconde [d’images enregistrées], il faut compter près de trois minutes de traitement », précise Meaghan O’Reilly. Pour des images prises pendant une durée de 45 secondes, comme dans l’article, il faudrait donc qu’un médecin attende plus de deux heures avant d’obtenir une carte détaillée du cerveau du patient.

IMAGE FOURNIE PAR LE LABORATOIRE PHYSIQUE POUR LA MÉDECINE DE L’ESPCI PARIS

Image du flux sanguin dans le cerveau réalisée par l’équipe de Charlie Demené : on y voit à la fois de larges vaisseaux (en jaune, au centre), mais également des vaisseaux plus fins (en rouge). L’image fait 10 cm de large environ. Les couleurs varient du jaune au rouge, en fonction du nombre de bulles qui sont passées dans le vaisseau.

Cette méthode permettrait de faciliter le diagnostic de patients atteints de maladies cérébrales, mais il faudrait également trouver des traitements pour prendre en charge ces personnes. Par exemple, dans le cas de la maladie d’Alzheimer, « il y a des choses qui se passent au niveau de la microvascularisation [c’est-à-dire au niveau des petits vaisseaux sanguins dans le cerveau], en lien avec le développement de cette maladie », souligne Charlie Demené. Mais aucun traitement n’a encore été trouvé pour guérir ou ralentir sa progression. « Dans le monde de l’imagerie, c’est compliqué parce qu’on ne travaille que sur le versant diagnostic, on ne travaille pas sur le versant curatif. […] On travaille sur notre brique à nous, et il faut se voir comme une partie du collectif », affirme-t-il. « En faisant de petits pas les uns après les autres, on arrivera à mieux prendre en charge les patients. »

En chiffres

1 micromètre = 0,001 millimètre 40-100 micromètres : diamètre typique d’un cheveu
2,5 micromètres : taille moyenne des bulles utilisées
25 micromètres : résolution atteinte chez l’humain avec la microscopie de localisation ultrasonore
200 micromètres : résolution typique atteinte chez l’humain en imagerie ultrasonore conventionnelle

Chloé Bourquin, auteure de l’article et journaliste stagiaire à La Presse, fait un doctorat en génie biomédical à Polytechnique Montréal dans le Laboratoire d’ultrasons de Jean Provost. Dans ses travaux de recherche, elle utilise une variante de la microscopie de localisation ultrasonore, pour observer les pulsations du sang au cours du cycle cardiaque dans de petits vaisseaux sanguins. À terme, cela pourrait permettre de détecter les signes précurseurs de maladies neurodégénératives comme la démence.