L’émission de gaz à effet de serre par l’humain ne fait pas que réchauffer son atmosphère : elle la rend également moins dense en altitude. Ce rétrécissement cause des problèmes pour les satellites, qui restent plus longtemps en orbite après leur mort opérationnelle.

CO2

À 400 km de la Terre, l’altitude de la Station spatiale internationale, l’atmosphère est maintenant 20 % moins dense qu’en 2000. Et à la fin du siècle, cette diminution de densité atteindra 80 %. « C’est un gros problème pour les satellites », explique Hugh Lewis, astrophysicien à l’Université de Southampton, en Angleterre. Il a récemment fait une analyse des risques de collision liés à la constellation Starlink de SpaceX, qui comptait en juin dernier 1800 satellites.

« Les satellites en fin de vie et les débris de fusée vont rester en orbite cinq fois plus longtemps qu’avant, parce que ce qui les ramène sur Terre est la friction avec l’atmosphère, indique Hugh Lewis. Moins l’atmosphère est dense, moins il y a de friction. Ça augmente le risque de collisions, donc ça limite le nombre maximum de satellites qu’on peut envoyer en orbite. »

John Emmert, physicien au Laboratoire de recherche navale à Washington – l’un des premiers à montrer ce rétrécissement de l’atmosphère de la Terre –, tempère : l’influence du cycle solaire joue aussi sur la densité de la haute atmosphère. « L’augmentation de la concentration de CO2 a un effet important, mais il y a beaucoup de variation au fil des 11 ans du cycle solaire, dit M. Emmert. La densité à 400 km est 10 fois plus élevée lors du maximum solaire que lors du minimum. À long terme, l’augmentation de la concentration de CO2 diminue la densité à 400 km d’altitude de 2 % ou 3 % par décennie. »

Le maximum solaire correspond à l’activité la plus élevée du Soleil, avec une augmentation du nombre de tempêtes solaires – comme celle qui a provoqué une panne dans le réseau d’Hydro-Québec, en 1989.

La thermosphère

Quel est le lien entre le CO2 et la densité de l’atmosphère ? « Le CO2 en haute altitude refroidit la Terre, contrairement à ce qui se passe à moins de 100 km, dit M. Emmert. En basse altitude, le CO2 empêche la chaleur de s’échapper vers l’espace. Mais au-delà de 100 km, le CO2 absorbe les rayons infrarouges du Soleil et les renvoie vers l’espace. C’est pourquoi on appelle cette région de l’atmosphère la thermosphère. La température diminue dans la haute atmosphère de quelques degrés Celsius par décennie, au fur et à mesure que la concentration de CO2 augmente. »

Dès 1989, la première prédiction que l’atmosphère de la Terre rétrécirait avec l’augmentation de la concentration de CO2 a été faite. « C’était un modèle théorique, dit M. Emmert. En 2000, une première preuve concrète a été obtenue avec l’observation de la vitesse de descente de cinq satellites. Et en 2004, j’ai présenté la preuve définitive de l’exactitude du modèle de 1989. »

Starlink

PHOTO TIRÉE DU SITE DE SPACEX

Des satellites Starlink en attente de lancement et de déploiement

Le phénomène du rétrécissement de l’atmosphère est aussi visible dans l’analyse qu’a faite Hugh Lewis du risque de collision lié aux satellites Starlink. Ces derniers, qui visent à fournir de l’internet haute vitesse, seront éventuellement 12 000.

« Les satellites Starlink sont déjà responsables de la moitié des passages rapprochés entre deux satellites, dit M. Lewis. On parle de 1600 fois chaque semaine, où deux satellites se frôlent à moins de 1 kilomètre. Je pensais que ce serait beaucoup moins. Le modèle théorique prévoyait une augmentation linéaire du nombre de passages rapprochés, mais c’est exponentiel. À terme, les satellites Starlink seront responsables de 90 % des passages rapprochés. »

Environ 3 % de ces passages rapprochés nécessitent que l’opérateur d’un satellite effectue des manœuvres pour diminuer le risque de collision, selon le site spécialisé Space.com.

25 ans

Depuis 2010, l’Organisation internationale de normalisation (ISO) recommande que les satellites « morts » retombent sur Terre au maximum 25 ans après la fin de leur vie opérationnelle. Cette norme n’est pas toujours respectée : en 2019, un rapport de l’Agence spatiale européenne (ESA) estimait que moins du quart des satellites en orbite au-delà de 500 km ont assez de carburant pour abaisser leur orbite en fin de vie et ainsi profiter de la friction atmosphérique pour retomber sur Terre. Même les opérateurs qui veulent respecter cette échéance de 25 ans ne tiennent pas compte du rétrécissement de l’atmosphère causé par l’accumulation du CO2 émis par les humains, selon M. Lewis.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE ROCKET LAB

Une fusée de Rocket Lab sur sa rampe de lancement

« On va se retrouver avec une accumulation de satellites, et aussi de débris causés par les collisions qu’il sera impossible d’éviter avec des satellites morts sans propulsion. Déjà, l’automne dernier, le PDG de Rocket Lab a prévenu qu’il était de plus en plus difficile de viser un espace libre pour lancer une fusée, avec la croissance rapide des constellations de satellites comme Starlink. » Le PDG de la firme néo-zélandaise Rocket Lab, Peter Beck, a dit à CNN en octobre 2020 qu’il lui fallait maintenant « tricoter » entre les satellites pour lancer une fusée. Avant un lancement de fusée, les opérateurs doivent faire une évaluation du risque de collision avec des satellites et des débris déjà en orbite. Les satellites qui sont captés par l’atmosphère terrestre abaissent lentement leur orbite avec la friction atmosphérique et finissent par se désintégrer dans la haute atmosphère.

Le syndrome de Kessler

En 1978, un astrophysicien de la NASA, Donald Kessler, a avancé que l’orbite terrestre pourrait un jour devenir « pleine », à cause des débris causés par les collisions en orbite. Conséquence : il n’y aurait plus d’espace pour envoyer des satellites supplémentaires de façon sécuritaire. Cette prédiction a été appelée « syndrome de Kessler ».

Faire le ménage en orbite

Une solution serait d’envoyer un astronef faire le ménage en orbite. Soit en ramassant les débris et en les amenant à se désintégrer dans l’atmosphère, soit en leur donnant une impulsion pour qu’ils se dirigent vers la Terre.

PHOTO TIRÉE DU SITE D’ASTROSCALE

Illustration de l’essai de capture de satellite réalisé l’été dernier en orbite par Astroscale

Hugh Lewis travaille justement avec une firme britannique, Astroscale, qui veut attirer des satellites avec des aimants pour les renvoyer vers l’atmosphère, après leur fin de vie. Une mission de démonstration d’Astroscale est en cours. « En théorie, ça marche, tout comme plusieurs autres technologies pour faire le ménage en orbite, dit M. Lewis. Mais il faudra voir comment on finance tout ça. Récemment, le PDG d’Iridium, Matt Desh, a dit sur Twitter qu’il était prêt à payer 10 000 $ par satellite pour un service de ce genre. C’est beaucoup, beaucoup moins que ce que ça va coûter en réalité. » Iridium est une entreprise offrant de la téléphonie, qui exploite une centaine de satellites.

Consultez un graphique (en anglais) qui explique les « couches » de l’atmosphère

Les satellites en chiffres

PHOTO TIRÉE DU BLOGUE DE MARCO LANGBROECK

Cette image croquée en 2019 par l’astronome néerlandais Marco Langbroek montre un « train » de satellites Starlink se suivant à la queue leu leu après leur lancement.

500 : nombre de satellites en orbite en 1995
1000 : nombre de satellites en orbite en 2000
6500 : nombre de satellites en orbite en 2020

Source : NASA