La Chine lance le 24 novembre une mission lunaire. Pour la première fois depuis 1976, elle reviendra sur Terre avec des échantillons de sol lunaire. Un premier pas vers une base lunaire ?

La sonde chinoise

Chang’e 5 sera la troisième mission chinoise à se poser sur la Lune. Contrairement à Chang’e 3 (2013) et Chang’e 4 (2018), elle ne comportera pas de véhicule d’exploration spatiale (rover). Mais elle va creuser jusqu’à deux mètres dans le sol lunaire et rapporter des échantillons de sol lunaire sur la Terre, une première depuis la sonde soviétique Luna 24 en 1976. Cela est moins profond que pour les missions habitées Apollo, mais comparable à Luna 24. « Les sondes lunaires chinoises sont basées sur le design soviétique », explique Jim Head, un astrophysicien de l’Université Brown au Rhode Island qui a des contacts étroits avec d’anciens étudiants travaillant pour le programme spatial chinois. « Mais contrairement aux Luna, Chang’e 5 transférera ses échantillons à un orbiteur qui repartira ensuite vers la Terre. C’est une opération assez délicate. Apollo faisait aussi le transfert, mais tout était assuré par des humains. » Chang’e est le nom de la déesse de la Lune dans la mythologie chinoise.

Un sol plus jeune

Cartes possibles montrant (gros plan) là où atterrira Chang'e 5. Il y a 170 km entre Apollo 12 et 14.
Sur la grande carte, Luna 14-16-20 sont les trois points russes à droite

La zone où se posera Chang’e 5 est plus jeune que celles qu’ont explorées les missions Apollo et Luna : le volcanisme lunaire y a duré jusqu’à il y a 1 à 2 milliards d’années, contre 3,7 milliards d’années pour le territoire d’Apollo et de Luna. « Ça va nous permettre de finaliser la courbe permettant de déterminer l’âge d’une zone de la Lune en fonction du nombre de cratères qui s’y trouvent, dit M. Head. La Lune est importante pour comprendre le passé de la Terre. À cause de la tectonique des plaques et de l’érosion, on sait peu de choses de la surface de la Terre avant 2 milliards d’années. La Lune nous permet de comprendre notre passé. » Et si le volcanisme lunaire s’avérait très jeune ? « Si Chang’e 5 détermine qu’il y avait encore des volcans sur la Lune il y a 1 milliard d’années, ça va limiter les comparaisons qu’on pourra faire avec la surface de la Terre, mais ça va nous aider à mieux comprendre l’intérieur de la Terre, dit M. Head. Ça voudra dire qu’il y avait une source de chaleur qui a duré plus longtemps que l’on ne pense. » Pourquoi les missions Apollo et Luna n’ont-elles pas pris des échantillons dans des régions plus jeunes ? « Apollo à cause de l’annulation des quatre dernières missions, et Luna parce que leurs atterrisseurs partaient directement vers la Terre, sans passer par un orbiteur, dit M. Head. J’ai travaillé avec les Soviétiques, on leur suggérait souvent d’atterrir ailleurs que près des missions Apollo, mais ils ne pouvaient pas le faire sans compromettre un atterrissage en Russie. »

Vers une base lunaire ?

IMAGE FOURNIE PAR LA CNSA

Illustration d’une base lunaire chinoise

Un clone de Chang’e 5, Chang’e 6, fera en 2022 ou 2023 une autre mission de retour d’échantillons. « Si Chang’e 5 fonctionne bien, Chang’e 6 ira près du pôle Sud, là où une base lunaire devrait être érigée parce qu’on croit qu’il s’y trouve de l’eau sous forme de glace », dit M. Head. La Chine prévoit déterminer le lieu exact d’une base lunaire avec l’orbiteur Chang’e 7 en 2025-2026, qui va traquer la présence d’eau près du pôle Sud. L’atterrisseur robotisé Chang’e 8 testera en 2027 des technologies de fabrication de modules lunaires et de carburant. L’idée d’une base lunaire a été relancée récemment par la série For All Mankind, une uchronie (un récit d’évènements fictifs à partir d’un point de départ historique) qui imagine un monde où les Soviétiques seraient arrivés sur la Lune avant Apollo 11 et où les États-Unis auraient prolongé le programme Apollo, établissant une base lunaire, tout comme les Soviétiques.

L’eau sur la Lune

PHOTO FOURNIE PAR LA NASA

L’observatoire Sofia

Des chercheurs de la NASA ont récemment découvert de l’eau sous forme de cristaux dans une zone de la Lune qui est souvent éclairée par le Soleil. « Ça ouvre plein de possibilités pour ce qui est de l’emplacement d’une base lunaire », explique Casey Honniball, chercheuse à la NASA au Maryland, qui est l’auteure principale de l’étude publiée dans Nature Astronomy. « Mais il faudrait une densité plus grande qu’avec des gisements d’eau glacée dans des cratères en permanence à l’ombre, parce qu’extraire l’eau de cristaux est moins efficace. » Pour le moment, l’observatoire Sofia qu’a utilisé Mme Honnibal n’a détecté de l’eau sous forme de cristaux que dans une densité de 0,1 %, et seulement à mi-chemin entre l’équateur et le pôle Sud de la Lune. Une autre séance de 72 heures d’observation sur Sofia, qui est situé dans un Boeing 747 en vol, permettra de voir s’il y a une densité plus grande ailleurs et s’il y en a plus près de l’équateur.

Partage d’échantillons

IMAGE FOURNIE PAR LA CNSA

Illustration de l’arrimage entre les échantillons de Chang'e 5 et l’orbiteur

La Chine affirme qu’elle donnera accès à ses échantillons lunaires aux chercheurs d’autres pays. « Un accord de coopération internationale sur les échantillons a été conclu et sera rendu public si la mission est un succès », a expliqué à La Presse Xiao Long, de l’Université des géosciences de Wuhan, qui fait partie de l’équipe qui gérera les échantillons. « Évidemment, la participation de chercheurs américains dépendra de l’amendement Wolf. » Cette loi américaine de 2011 interdit à tout chercheur financé par la NASA de collaborer aux travaux de chercheurs chinois. « La modification ne concerne que les collaborations binationales, dit M. Head. Si je travaille avec des chercheurs chinois et européens, ça marche. »

CHIFFRES : Grammes et kilogrammes

326 grammes : quantité de sol lunaire rapportée par trois missions robotiques soviétiques

382 kilogrammes : quantité de sol lunaire rapportée par six missions habitées américaines

2 kilogrammes : quantité de sol lunaire qui sera rapportée par Chang’e 5

Source : NASA

LIGNE DU TEMPS : Les jalons de l’exploration lunaire

1959 : La sonde soviétique Luna 3 envoie les premières photos de la face cachée de la Lune.

1966 : La sonde soviétique Luna 9 est la première à se poser sur la Lune sans s’y écraser.

1968 : La mission Apollo 8 envoie les premiers êtres humains en orbite autour de la Lune.

1969 : Apollo 11, première mission habitée à se poser sur la Lune

1970 : Première des trois missions robotiques Luna soviétiques à se poser sur la Lune

1976 : Dernière mission soviétique sur la Lune, Luna 24

2008 : Première mission à toucher la Lune en 32 ans, l’impacteur indien Moon Impact Probe de l’orbiteur Chandrayaan-1

2022 : Début de la construction de la station orbitale lunaire Gateway

2026 : Premier équipage sur Gateway

2027 : Mission chinoise Chang’e 8, qui doit tester des technologies robotiques de construction d’une base lunaire

Source : NASA