(Montréal) Une récente étude a beaucoup fait jaser en rapportant que le cerveau des femmes fonctionne mieux au chaud que celui des hommes. Des experts consultés par La Presse canadienne estiment toutefois qu’elle est tellement pleine de trous qu’il est impossible d’en tirer quelque conclusion que ce soit.

«Selon moi, les conclusions que (les chercheurs) en tirent ne permettent pas du tout d’apporter un certain niveau d’évidence en faveur ou contre leur hypothèse, a tranché Miguel Chagnon, directeur du service de consultation statistique de l’Université de Montréal. Pour moi, la question reste ouverte, peu importe les chiffres.»

Des chercheurs allemands et américains écrivaient dans le journal scientifique PLOS ONE que les femmes s’en tiraient mieux lors de tests mathématiques et verbaux dans une pièce plus chaude, tandis que la performance des hommes lors de ces mêmes tests était meilleure dans une pièce plus fraîche.

Un peu plus de 540 sujets avaient participé à des tests mathématiques, verbaux et de logique dans une pièce dont la température oscillait entre 16,2 et 32,6 degrés Celsius.

Selon les chercheurs de l’université Southern California et du Centre des sciences sociales WZB de Berlin, les participantes ont fourni davantage de réponses correctes — et davantage de réponses, point — quand la température atteignait la portion supérieure de la fourchette. La même situation aurait été observée chez les participants quand la température se trouvait dans la portion inférieure de la fourchette ; quand la pièce était plus chaude, ils remettaient apparemment moins de réponses et moins de réponses correctes.

«Il n’y a absolument rien de neurologique dans cette étude-là. Ce ne sont que des statistiques et il n’y a aucune explication neurologique ou rationnelle […], à part certaines études qui montreraient que les femmes, de façon suggestive, préfèrent les températures plus hautes, a pour sa part commenté le professeur Cyril Schneider, qui enseigne à la faculté de médecine de l’Université Laval.

«(Les graphiques) montrent qu’il n’y a aucune relation entre la température et ces tâches-là, le sexe confondu.»

De multiples failles

Les experts interrogés par La Presse canadienne énumèrent tellement de failles qu’il est impossible de toutes les nommer.

«Plusieurs limites font que je ne vois pas comment les résultats de cette étude puissent être valides et utiles, a écrit dans un courriel la professeure Jessica Lévesque, de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. Je pense que c’est à la portée de tous de comprendre que ce n’est pas l’augmentation de quelques degrés de la température qui va réellement changer la performance des employés, à moins que tout soit parfait par ailleurs.»

MM. Schneider et Chagnon soulignent que chacun des 543 sujets n’a été testé qu’une seule fois, et non pas pour chaque épreuve à chaque température, et qu’on ne dispose d’aucune information concernant l’homogénéité des groupes.

Conséquemment, dit M. Schneider, «la personne qui réussit bien à 20 degrés n’est pas la même que celle qui réussit moins bien à 30 degrés […]. La personne qui a été randomisée pour tester les mathématiques à 30 degrés est peut-être moins bonne que celle qui a été testée à 20 degrés. Ça s’appelle un biais de recrutement».

Le professeur Chagon abonde dans le même sens en faisant remarquer que les participants ont été recrutés à l’université : il suffirait que les participantes soient majoritairement des étudiantes en sciences humaines et les participants des étudiants en génie, par exemple, pour bousiller les observations des chercheurs.

«Si de base un groupe est plus fort en mathématiques qu’un autre groupe, on va observer qu’il va y avoir une moyenne plus élevée, peu importe la température au niveau de la pièce, a-t-il dit. On n’a aucune mesure qui pourrait nous établir que les groupes sont équivalents au niveau des différentes températures, que ce soit les mathématiques, le verbal ou la résolution de problèmes.

«Il y a tellement de possibilités! C’est ce que nous appelons des facteurs de confusion, c’est-à-dire que ce qu’on observe peut être attribué à d’autres choses que simplement la condition expérimentale.»

On sait aussi qu’on comptait 59% d’hommes et 41% de femmes parmi les participants, ce qui est source de déséquilibre.

Moins de 5%

En passant les chiffres au peigne fin, M. Chagnon fait une découverte étonnante : moins de 1% de la variabilité observée lors des épreuves verbales serait attribuable à la température, tandis que la température expliquerait environ 5% de la variabilité.

«Ce n’est pas très fort, a-t-il dit. Ce ne sont pas des tailles d’effet très fortes.»

Et ce n’est pas tout : il semblerait que le cerveau des hommes est plus efficient en mathématiques et en logique que celui des femmes, indépendamment de la température.

«Oui, je comprends que la performance “semble” augmenter en fonction de la température pour les femmes et décliner pour les hommes, mais […] même avec une température de 30 (Celsius) j’ai l’impression que les moyennes pour les hommes sont plus élevées que celles pour les femmes», a dit M. Chagnon.

Puisqu’on sait que, règle générale, les femmes sont meilleures que les hommes lors de tâches verbales, M. Schneider estime que la tâche la plus importante à étudier est celle de la logique et de la résolution de problèmes.

«Et on voit qu’il n’y a aucune différence au niveau de la température», a-t-il lancé.

La Presse canadienne a demandé en terminant à M. Chagnon quel sort il réserverait à un étudiant qui lui remettrait un travail d’une qualité comparable à celle de cette étude.

«Oh, il n’a peut-être pas la note de passage», a-t-il rapidement laissé tomber.