Une chaîne de cliniques de kétamine – qui traite des milliers de Canadiens suicidaires ou prisonniers de la dépression – en expédie aussi chez des clients, a appris La Presse. Cet anesthésique, aussi employé comme antidépresseur, peut pourtant provoquer la dissociation et, parfois, des hallucinations terrifiantes ou une immense anxiété.

« Tout médecin peut prescrire de la kétamine par voie orale pour une utilisation à domicile, sous réserve de normes médicales raisonnables pour l’administration. Nous offrons un traitement à domicile en Ontario », a révélé à La Presse le directeur juridique de Braxia, Peter Rizakos.

Le psychiatre et pharmacologue Roger McIntyre, qui a fondé l’entreprise, a ultérieurement ajouté en entrevue que Braxia avait « des exigences et protocoles de sécurité étendus pour tout type de traitement à la kétamine ».

Son ex-partenaire québécois, une clinique située à Mont-Royal, a refusé net d’offrir des traitements à distance, déclare le directeur de cette dernière, Marcel Mazaltarim.

Les risques de dégâts associés à la prise de kétamine à la maison ont été dénoncés par l’École de médecine de l’Université Yale, le New York Times, le Washington Post, le magazine Psychology Today, la National Public Radio, etc.

Une supervision est requise, car 5 % des gens se sentent « vraiment très mal pendant les traitements », a précisé, en 2022, Gerard Sanacora, qui dirige le programme de recherche sur la dépression à l’Université Yale. « Ce n’est pas si petit lorsque l’on considère un grand nombre de personnes [traitées] », a souligné le neuroscientifique.

D’après une étude de 2022, 6 % des patients de cliniques américaines voient leurs idées suicidaires empirer et 8 % voient leur dépression s’aggraver à la suite des séances de kétamine.

« Braxia nous a demandé d’introduire la kétamine à distance en disant : “On va en prescrire aux gens qui ne peuvent pas se déplacer et la leur expédier. Et une infirmière va monitorer les clients par vidéo”, rapporte M. Mazaltarim, dont le personnel a traité 82 clients avec cette substance en 2023. Ce qu’ils veulent est impossible ! On doit prendre les signes vitaux aux 20 minutes. J’ai dit : “Au Québec, ça ne va jamais passer ! Tant mieux pour vous si vous le faites en Ontario…” »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le directeur de Neurothérapie Montréal, Marcel Mazaltarim

L’ex-psychothérapeute déplore la philosophie de Braxia qui, selon lui, mise trop sur la molécule, au détriment de la psychothérapie permettant de prolonger ses effets. Il vient donc de rompre leur partenariat, qui aura duré trois ans.

« M. Mazaltarim, qui n’est pas médecin, n’a aucune connaissance des protocoles de sécurité de Braxia pour tout type de traitement à la kétamine », rétorque le DMcIntyre.

Au Canada, au moins 10 personnes se suicident chaque jour, calcule-t-il, en disant : « Le système de soins de santé mentale laisse tomber les Canadiens. Avoir accès à des traitements qui peuvent sauver leur vie est un droit fondamental. »

Certains ont des handicaps, manquent d’argent ou vivent à plusieurs heures de route des cliniques de kétamine. « Ils trouvaient ça injuste de ne pas y avoir accès. Nous devions trouver le moyen de rendre l’environnement moins restrictif, sans compromettre leur sécurité », dit le chercheur et homme d’affaires.

« 20 % de réduction sur votre traitement »

En juillet 2023, Braxia – qui veut aussi créer des médicaments et qui est cotée en Bourse – a révélé avoir « enregistré un nombre record de demandes de consultation » en 2023, mais avoir essuyé une perte nette de 13,1 millions.

Elle a alors annoncé vouloir intensifier le marketing direct et rechercher de bons partenaires pour développer rapidement les traitements virtuels. « Nous n’en avons pas trouvé », précise MRizakos, ajoutant que Braxia se concentre présentement sur le développement de ses cliniques.

Braxia a commencé par prendre de l’expansion au sud de la frontière, il y a un an et demi, en rachetant KetaMD, de Miami. Au lieu d’ouvrir une clinique, cette dernière a lancé une application pour tout faire à distance, y compris la surveillance des traitements.

CAPTURE D’ÉCRAN DU WEBINAIRE DE KETAMD SUR YOUTUBE

La vedette du football américain Lamar Odom sur le matériel promotionnel de KetaMD, lors d’un webinaire auquel a participé Braxia, le 13 décembre 2022

Après leur union, KetaMD a publié de nombreuses publicités sur Facebook. Elle y a affiché des rabais éphémères de 10 % ou 20 %, notamment à l’Action de grâce. Et y a suggéré d’employer la kétamine pour lutter contre le stress ou l’anxiété liés aux voyages des Fêtes, la solitude, la dépression saisonnière, les soucis de la vie, l’épuisement, etc.

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  • « Êtes-vous en proie à l’anxiété ? La kétamine pourrait vous soulager », indique cette annonce.

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  • « Vous ressentez la déprime du temps des Fêtes ? », demande une autre annonce.

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KetaMD, qui n’a pas répondu à notre courriel, offre des retraites de méditation sous kétamine, rapportait, en août 2023, le magazine britannique The Face, photos à l’appui. Sa cofondatrice, Kaia Roma, a publié un livre de croissance personnelle et a travaillé 25 ans en marketing.

CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE WEB DU MAGAZINE BRITANNIQUE THE FACE

Séances de méditation sous kétamine de KetaMD à Miami

Toutes ces pratiques tranchent avec ce que Braxia prône au Canada. Chercheur prolifique, son fondateur a contribué à élaborer les lignes directrices canadiennes et internationales. Il y déclare que la kétamine doit être réservée aux gens souffrant de dépression résistante aux traitements. Et qu’il faut les aviser qu’on ignore ses effets et risques à long terme.

Braxia n’approuve pas la proposition [de KetaMD] selon laquelle la kétamine devrait être administrée aux patients souffrant uniquement d’anxiété générale. Les annonces n’ont pas été créées par le personnel de Braxia et ne reflètent pas notre approche.

MPeter Rizakos, directeur juridique de Braxia

Pour l’instant, l’enjeu est « théorique », estime-t-il, car « en raison du capital nécessaire pour développer l’activité à grande échelle […], KetaMD n’est pas opérationnelle pour le moment et nous n’avons pas encore déterminé si et quand nous allions relancer l’activité ».

KetaMD a adopté le même protocole de sécurité que Braxia, assure cette dernière. « Lorsque nous les avons acquis, indique le DMcIntyre, leurs protocoles ont dû être alignés sur les nôtres. Ils ont assurément eu besoin d’être guidés sur la façon la plus sûre de procéder. »

La sécurité des clients traités à domicile

« J’ai été horrifié d’apprendre que certains patients américains reçoivent leur traitement à domicile sans aucun contrôle. C’est scandaleux et alarmant ! » lance en entrevue le DRoger McIntyre, PDG de Braxia. Ses propres clients, dit-il, doivent préalablement obtenir le feu vert d’un médecin de l’entreprise, qui s’assure, entre autres, que l’abus de drogue n’est pas un enjeu et qu’un proche participera à la réunion d’information et sera présent pendant le traitement. Cet accompagnateur doit prendre les signes vitaux pendant la séance de deux heures (environ) et gérer, au besoin, les effets indésirables (avec un antihypertenseur, un déplacement aux urgences ou l’appel d’une ambulance). Le client et son accompagnateur sont tenus de rester devant la caméra et d’obéir à l’infirmière, jusqu’à ce qu’elle constate que les effets aigus de la kétamine ont disparu et ait vérifié où le client se situe sur une échelle de suicidalité. D’après le DMcIntyre, « une très petite proportion » des traitements prodigués par son entreprise se passent à distance, mais Braxia ne révèle pas leur nombre.

Cet article a été modifié pour ajouter des informations que Braxia ne nous avait pas fournies avant la publication initiale.

Lisez le dossier « Traitements de la santé mentale : les espoirs brisés de la kétamine au privé »