(Québec) C’est maintenant chose faite. L’imposante réforme de la santé de Christian Dubé a été adoptée sous bâillon au petit matin samedi. Les employés du réseau vivront « des changements importants » au cours des prochains mois, a prévenu le ministre.

« C’est une belle journée, c’est le jour 1 de la transition qui commence et qui va faire la transformation de notre grand réseau de la santé », s’est réjoui le ministre Christian Dubé, samedi matin.

Après une nuit de débats en séance extraordinaire, le projet de loi 15 qui vise à rendre le réseau de la santé et des services sociaux plus efficace a été adopté sous bâillon autour de 5 h 15 samedi. Le premier ministre François Legault était sur place pour le vote final d’adoption, qui s’est terminé avec 75 voix pour, 27 voix contre et aucune abstention.

La réforme controversée de l’ex-ministre libéral de la Santé Gaétan Barrette avait aussi fait l’objet d’un bâillon en 2015.

Lisez l’article « Réforme de la santé : des réactions partagées sur l’adoption du projet de loi 15 »

Christian Dubé peut donc se tourner vers la prochaine étape : la création de Santé Québec, une toute nouvelle société d’État qui sera responsable de tout le volet opérationnel du Ministère. Santé Québec deviendra également l’employeur unique du réseau de la santé. Le ministre a d’ailleurs voulu adresser ses premiers mots aux travailleurs de la santé, avec qui le gouvernement négocie toujours un nouveau contrat de travail.

Je veux aussi rassurer les employés du réseau parce que ce sont des gens qui vont vivre des changements importants au cours des prochains mois et ça sera à nous de bien expliquer ces changements-là.

Christian Dubé, ministre de la Santé

La décision d’avoir recours au bâillon a été prise vendredi. Elle survient dans un contexte où la popularité du gouvernement Legault s’effrite selon les derniers sondages d’opinion et qu’il cherche toujours à s’entendre avec les 600 000 employés de l’État. La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) – le plus important syndicat d’infirmières – a déploré vendredi le recours à cette mesure d’exception.

La première version du volumineux projet de loi 15 comportait quelque 1200 articles. Des centaines d’amendements ont été déposés par le ministre au cours des travaux parlementaires, et encore cette semaine. Il restait donc encore plus de 500 articles à adopter, dont plusieurs de concordance.

Créer Santé Québec

M. Dubé, qui a passé tout l’automne en commission parlementaire pour étudier le texte législatif, explique maintenant qu’il aura plus de temps pour retourner sur le terrain et gérer les urgences du réseau. Il admet être déjà fébrile à l’idée de composer la future équipe de Santé Québec. « La partie la plus intéressante pour moi est de mettre en place cette équipe-là », a-t-il indiqué en mêlée de presse.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Santé, Christian Dubé

La Presse a déjà rapporté que le ministre de la Santé veut recruter des « top guns » du privé pour diriger la nouvelle agence et qu’il est prêt à mettre sur la table des offres salariales concurrentielles pour attirer des candidats, quitte à sortir du cadre standard de rémunération du secteur public. Samedi, M. Dubé a confirmé que les mises en candidature devraient être publiées début janvier.

Un comité de transition vers la création de Santé Québec est en place. La nouvelle entité doit être créée six mois après l’entrée en vigueur de la loi. Le ministre vise donc le printemps pour y arriver.

Une « longue » nuit

La nuit a été « longue », selon l’opposition, alors que les parlementaires ont pu adopter une quinzaine d’articles seulement au cours du bloc de cinq heures d’étude détaillée. Le ton a été donné lorsque M. Dubé n’a pas consenti à une priorisation des articles à étudier proposée par le député libéral André Fortin. L’opposition a donc refusé de consentir à ce que les sous-ministres du Ministère puissent intervenir.

Cela a eu pour effet de ralentir les travaux puisque M. Dubé devait constamment consulter son équipe pour avoir réponse aux questions sur les amendements. En temps normal, les sous-ministres et juristes peuvent intervenir pour préciser des éléments techniques du projet de loi.

« On était dans les antécédents judiciaires et c’était particulièrement difficile pour le ministre de répondre aux questions des oppositions », a déploré le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard. « Les choses ne sont pas allées très rapidement, malheureusement, parce que c’était un bloc qui ne semblait pas être maîtrisé. Fort heureusement, l’opposition était préparée et il y a eu des correctifs et beaucoup d’amendements », a-t-il dit.

« Je n’ai aucun problème à dire qu’il y a beaucoup d’éléments techniques dans la loi que je ne connais pas », s’est défendu M. Dubé, samedi. « J’ai toujours travaillé de la même façon, je suis un gestionnaire et quand j’ai besoin d’un avocat ou d’un médecin, je les consulte », a-t-il ajouté.

Une réforme « démobilisante »

Le Parti libéral a estimé pour sa part que la réforme du ministre allait « démobiliser » le personnel du réseau.

« On ne peut pas se permettre ça, si on veut améliorer ce qui se passe dans nos urgences, ce qui se passe à la DPJ, dans nos CHSLD, ça prend plus de personnel », a indiqué le député André Fortin. « Si on va visiter une ligne de piquetage demain, il va y avoir des pancartes contre le projet de loi 15 parce qu’il inquiète les travailleurs de la santé », a-t-il ajouté.

« Ce n’est pas très édifiant, ce à quoi on a eu droit dans les dernières heures », a fait valoir pour sa part le député péquiste Joël Arseneau.

Un gouvernement qui doit adopter par la force […] un projet de loi mammouth qui va transformer le système de santé de bout en bout […] et qu’on le fasse sans étudier le tiers des articles, c’est absolument incroyable.

Joël Arseneau, député péquiste

C’est le cinquième bâillon du gouvernement Legault depuis son arrivée au pouvoir en 2018. Il a eu recours à cette mesure pour faire adopter ses projets de loi sur les tarifs d’hydroélectricité, la laïcité de l’État, l’immigration et la réforme des structures du réseau scolaire.

Quelques changements de la réforme Dubé

  • Le projet de loi 15 revoit de fond en comble la Loi sur les services de santé et les services sociaux et modifie la gouvernance du réseau public.
  • Santé Québec deviendra l’unique employeur du réseau pour « diminuer la bureaucratie », ce qui signifie que l’ancienneté syndicale par établissement sera fusionnée pour « offrir une plus grande flexibilité » au personnel.
  • La nouvelle loi permettra de réembaucher plusieurs centaines de gestionnaires « de proximité » afin que chaque installation – du CLSC à l’hôpital – ait un directeur qui devra rendre des comptes.
  • En marge de sa réforme, Christian Dubé a conclu une entente avec les médecins spécialistes pour les soumettre à des obligations d’« activités médicales particulières », comme pour les médecins de famille.
  • Le projet de loi 15 sonne la fin des conseils d’administration des CISSS et CIUSSS pour laisser la place à de nouveaux conseils d’établissement.
  • On met aussi en place des mécanismes pour que les Québécois puissent connaître leur rang dans les listes d’attente pour une opération, par exemple.