Plusieurs problèmes de santé mentale, dont les épisodes dépressifs majeurs, le trouble bipolaire et le trouble d’anxiété généralisée, sont en hausse depuis 10 ans, donc bien avant la pandémie, estime une étude de Statistique Canada publiée vendredi.

« Le déclin de la santé mentale de la population était évident au Canada avant le début de la pandémie de COVID-19 », écrit Statistique Canada dans son étude comparant des données de 2022 et de 2012.

La proportion de Canadiens âgés de 15 ans et plus qui, dans l’année précédente, répondaient aux critères diagnostiques de certains troubles a beaucoup augmenté durant ces 10 années (voir graphique).

Pour le trouble d’anxiété généralisé, cette proportion a carrément doublé, et la hausse est aussi importante pour les épisodes dépressifs majeurs et les troubles bipolaires.

Quant à la phobie sociale, la hausse est encore plus marquée, soit presque deux fois et demie, suggèrent les données les plus récentes, qui remontent à 2002.

En revanche, la prévalence de certains problèmes, comme les troubles liés à la consommation d’alcool et ceux liés à l’utilisation d’autres substances, notamment le cannabis, n’a pas augmenté. Les premiers ont diminué, et les seconds sont restés stables, montre l’étude de Statistique Canada.

Le trouble d’anxiété généralisé, les épisodes dépressifs majeurs et les troubles bipolaires sont également en hausse au Québec, confirment les chiffres fournis par Statistique Canada à La Presse.

Autres enquêtes, même constat

Ces augmentations ont été mesurées en comparant des résultats de deux grandes enquêtes pancanadiennes, réalisées en 2022 et en 2012. Ces enquêtes tiennent toutefois compte des symptômes des 12 mois précédents. Les données de 2022, récoltées entre mars et juillet, incluent donc des symptômes ressentis au printemps et à l’été 2021, alors que la planète, Canada et Québec inclus, nageait encore en pleine pandémie.

« C’est normal que les symptômes d’anxiété et de détresse psychologique augmentent dans une pandémie », souligne le DAlain Lesage, psychiatre chercheur à l’Institut universitaire de santé mentale de Montréal.

D’autres enquêtes sont arrivées à des constats similaires à ceux de Statistique Canada, signale-t-il.

Par exemple, le fait que les jeunes adultes (24 ans et moins) soient les plus touchés par les symptômes d’anxiété modérée à sévère est ressorti très clairement des sondages menés durant les cinq premiers mois de la pandémie par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Une hausse des consultations pour des problèmes de santé mentale et de dépendance a aussi été observée auprès des médecins de famille en Ontario.

Le nombre des ordonnances honorées en pharmacie pour des médicaments psychothérapeutiques, comme les antidépresseurs, les antipsychotiques et les psychostimulants, a également augmenté en 2020 et 2021, par rapport à 2019.

Lacunes en psychothérapie

« Les besoins insatisfaits en matière de conseil ou de psychothérapie étaient plus importants que les besoins insatisfaits en matière de médicaments ou d’information sur la santé mentale », relève d’ailleurs l’étude de Statistique Canada.

« De fait, une fois que vous pouvez voir un médecin de famille, il peut vous prescrire », note le DLesage. Et au Québec, grâce à l’assurance médicaments, « il n’y a pas d’obstacle financier à utiliser les médicaments », ce qui n’est pas le cas de la psychothérapie. Une situation « absolument inéquitable », déplore-t-il.

La tragédie, c’est qu’on ne fait pas partout ce qu’on sait qui pourrait faire une différence, comme la psychothérapie pour les troubles anxio-dépressifs.

Le DAlain Lesage, psychiatre chercheur à l’Institut universitaire de santé mentale de Montréal

Parmi les Canadiens répondant aux critères diagnostiques d’un trouble de l’humeur, d’un trouble d’anxiété ou d’un trouble lié à l’utilisation de substances, seulement 44 % ont reçu des services de conseil ou de psychothérapie, alors que 59 % disaient en avoir eu besoin, montre l’étude de Statistique Canada. Et parmi ceux qui ont reçu de tels services, moins des deux tiers (64,3 %) considéraient que leurs besoins avaient été satisfaits.

« On se demande quelle va être la première province à donner un code de facturation aux psychologues », soulève le DLesage, en référence aux codes de facturation que les médecins québécois utilisent pour les services publics couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Il faudra également attendre d’avoir d’autres données portant uniquement sur l’après-pandémie pour pouvoir mesurer la réelle évolution des troubles de santé mentale.

« Ce que ça prend, ce sont des mesures répétées dans les prochaines années. C’est après qu’on pourra voir ce qui est resté de cette période stressante », explique le DLesage.

Consultez l’étude de Statistique Canada Consultez l’enquête québécoise de l’INSPQ Consultez le tableau de bord ontarien (en anglais) Consultez l’enquête pancanadienne sur les données d’utilisation des médicaments