L’Hôpital général de Montréal a demandé au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de revoir le protocole qui le contraint à orienter les victimes d’agression sexuelle francophones vers un autre centre hospitalier.

Actuellement, les victimes d’agression sexuelle francophones se présentant à l’Hôpital général de Montréal en dehors des heures de bureau ou les jours fériés sont redirigées vers l’hôpital Notre-Dame. Ce protocole d’intervention a été établi en 1977 auprès de certains centres hospitaliers de Montréal.

L’Hôpital général de Montréal a indiqué avoir récemment contacté le Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal (CVASM) et le MSSS pour leur demander de réviser plusieurs aspects du protocole, dont la réorientation des patients selon leur langue. « Nous espérons que ces travaux commenceront bientôt », a déclaré Gilda Salomone, porte-parole du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), dont fait partie l’Hôpital général de Montréal.

Un protocole pour encadrer les victimes d’agression sexuelle dans le réseau de la santé avait été demandé en 1975 par le Service de police de la Communauté urbaine de Montréal, le Centre d’aide pour victime de viol et le Conseil du statut de la femme. Le protocole a finalement vu le jour deux ans plus tard, en 1977.

Aujourd’hui, ce protocole invite les victimes d’agression sexuelle de 18 ans et plus à se rendre au GMF Clinique Médic Elle, situé au centre-ville de Montréal, du lundi au vendredi de 8 h à 17 h. Un service bilingue est offert. Le soir, la fin de semaine et les jours fériés, les victimes francophones sont orientées vers l’hôpital Notre-Dame et les victimes anglophones vers l’Hôpital général de Montréal. Les personnes mineures ont accès à deux autres centres désignés.

Une victime francophone refusée

Malgré ce protocole, l’Hôpital général de Montréal affirme ne pas refuser de traiter les victimes qui préfèrent rester dans leur établissement. Or, un récent article de La Presse avait rapporté un cas où une victime francophone a été refusée par l’hôpital, entraînant sa réorientation vers d’autres établissements.

Lisez l’article « Admission d’une victime refusée : Québec va lancer une enquête sur l’Hôpital général de Montréal »

« [Au] premier hôpital, on m’a dit qu’on ne pouvait pas me donner le service dans ma langue maternelle », a témoigné la victime en septembre 2022 lors d’un procès. Un récit confirmé par le policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui l’a prise en charge cette nuit-là.

« On se dirige vers le Montreal General [l’Hôpital général de Montréal]. Malheureusement, puisque madame parle en français, Montreal General décide de nous refuser et décide de nous rediriger vers le CHUM où, par la suite, on nous mentionne qu’ils n’ont pas de trousse et nous dirige vers [l’hôpital] Notre-Dame », dit l’agent Marc-André Lacroix.

Après la publication de plusieurs reportages dans les médias, l’Office québécois de la langue française a ouvert une enquête sur la disponibilité des services en français à l’Hôpital général de Montréal.

À la suite de la controverse, l’hôpital a affiché une note à côté du poste de travail des infirmières au triage des urgences pour leur rappeler l’importance d’expliquer aux patientes francophones que la réorientation vers l’hôpital Notre-Dame est suggérée selon le protocole, mais n’est pas obligatoire. L’hôpital a toutefois reconnu que cette note pouvait être mal interprétée par les patients et l’a depuis retirée.

Simplifier les démarches

MSophie Gagnon, directrice générale de Juripop, estime que le protocole actuel peut entraver l’accès à la justice pour les victimes.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

MSophie Gagnon, directrice générale de Juripop

Il est possible qu’une personne ait utilisé toutes ses ressources mentales, matérielles et temporelles pour se présenter à un hôpital et que la nécessité de se déplacer à un autre hôpital puisse faire échec à ses démarches. C’est une situation qu’on doit éviter à tout prix.

MSophie Gagnon, directrice générale de Juripop

MGagnon rappelle que pour qu’une trousse médicolégale se révèle efficace à la suite d’une agression sexuelle, elle doit être réalisée dans un délai de cinq jours. « Ce ne sont pas toutes les personnes victimes qui ont la capacité de se présenter dans un hôpital dans les cinq jours suivant l’évènement traumatique. C’est encore plus vrai pour les personnes qui ont un ou des emplois précaires et qui ont de la difficulté à demander congé », illustre-t-elle.

Elle souligne donc l’importance que les ressources sur le terrain collaborent pour simplifier le parcours des victimes. « C’est dans cette optique-là que le protocole devrait être revu », juge-t-elle.

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse

Un chemin ardu vers la trousse médicolégale

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

La trousse médicolégale, qui permet entre autres de prélever sur la victime d’agression sexuelle les échantillons d’ADN qui serviront d’éléments de preuve, ne peut être utilisée que dans les cinq jours suivant l’agression.

Le recours à la trousse de traitement médicolégal pour les victimes d’agression sexuelle peut être semé d’embûches, comme l’illustre le cas récent d’une femme qui a été refusée à l’Hôpital général de Montréal parce qu’elle parlait français, une situation rendue publique au terme d’un procès criminel.

L’accompagnement

Les centres désignés sont les seuls hôpitaux qui disposent du matériel et du personnel formé pour prélever la preuve physique d’une agression sexuelle.

L’accompagnement qui y est offert par les différents intervenants peut jouer un rôle crucial, non seulement pour le bien-être de la victime, mais aussi pour l’aboutissement de l’enquête. Victime d’une agression à l’été 2020, une jeune femme, Maude (prénom fictif), a témoigné à La Presse du parcours qui peut être difficile vers la trousse médicolégale.

Dans les heures qui ont suivi l’agression, Maude a été conduite par deux policières au centre désigné le plus proche de chez elle, à l’hôpital de Saint-Jérôme, afin d’y passer un examen médicolégal. C’est à l’accompagnement que les choses se sont gâtées.

« Quand je suis arrivée là-bas, j’étais complètement traumatisée et j’avais de la difficulté à comprendre ce qui venait de m’arriver », confie la jeune femme.

Elle dit avoir attendu près d’une dizaine d’heures, seule, avant d’être examinée, faute de personnel formé. Elle se souvient que les policières qui l’accompagnaient l’ont laissée seule peu de temps après son arrivée à l’hôpital.

Le lendemain de son agression, l’équipe médicosociale de l’hôpital – une médecin, une infirmière et une intervenante – a rencontré Maude.

La docteure a procédé à l’examen sans trop m’expliquer les étapes de la trousse. Une chance que l’intervenante est restée avec moi après pour me rassurer et m’expliquer ce qui venait de se passer et me guider vers les organismes qui pouvaient m’aider.

Maude (prénom fictif)

Le manque d’accompagnement peut nuire à la construction de la preuve, rappelle Maude. « On ne m’a pas guidée sur ce que je devais faire, et ce qui était mieux que j’évite de faire. » Alors qu’elle attendait d’être rencontrée par l’équipe médicosociale, Maude s’est lavé le corps au savon. « J’étais seule et dépassée par les évènements. Je ne réalisais pas que j’effaçais la preuve qui me serait utile. »

Le personnel qualifié

L’utilisation des trousses médicolégales demande une formation spécifique. « Les équipes doivent connaître toutes les mesures pour ne pas altérer les preuves et éviter les souillures », précise Marie-Claude Lacasse, porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

Dans certaines régions, peu de professionnels de la santé sont formés à cet égard. Notamment, la Capitale-Nationale ne compte que 5 médecins, 3 infirmières praticiennes et 20 infirmières qualifiées pour une population de 800 000 personnes.

Si Maude a dû attendre 10 heures aux urgences avant de recevoir la trousse médicolégale, c’est parce qu’il n’y avait pas tous les membres qualifiés pour faire son examen lors de son arrivée dans le centre désigné.

D’après Justine Chénier, de l’organisme RQCALACS, ce scénario n’est pas rare. « Ce que l’on observe, c’est qu’il manque beaucoup de personnel dans les hôpitaux pour effectuer les examens qui découlent de la trousse médicolégale. »

Le temps

Après une agression sexuelle, chaque jour compte. La trousse médicolégale, qui permet entre autres de prélever sur la victime les échantillons d’ADN qui serviront de preuve, ne peut être utilisée que dans les cinq jours suivant l’agression.

Avant d’utiliser la trousse médicolégale, la victime doit éviter de se laver, de boire, de manger et d’uriner, pour préserver le plus de preuve possible.

Cependant, d’après le Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS), la proportion de victimes qui demandent une intervention dans un délai de cinq jours est faible.

La plupart des victimes viennent consulter, obtenir des services ou même dévoiler l’agression sexuelle plusieurs mois, voire plusieurs années après que l’agression a eu lieu.

Justine Chénier, porte-parole du RQCALACS

Après ce délai, une victime peut se présenter au centre désigné pour une trousse médicosociale, et ce, jusqu’à six mois après l’agression. Cette intervention ne vise pas à récolter de preuve physique, mais permet de documenter les faits entourant l’agression sexuelle.

La distance

Une personne victime d’agression sexuelle doit se rendre dans un des centres désignés de sa région, souvent situés dans les urgences des hôpitaux, dans les CLSC et dans les dispensaires.

Cependant, chaque région n’est pas égale en ce qui concerne l’accès aux centres désignés.

Par exemple, en Montérégie, six centres désignés desservent 1,5 million d’habitants. En Estrie, on ne compte que deux centres désignés pour près de 500 000 habitants. Ainsi, une personne ayant vécu une agression sexuelle à Lac-Mégantic doit conduire plus d’une heure pour se rendre au centre désigné le plus proche, le CHUS – hôpital Fleurimont, mais un habitant de Longueuil n’aura qu’à conduire une vingtaine de minutes pour se rendre à l’hôpital Charles-Le Moyne.

D’après Justine Chénier, il est nécessaire de « permettre à d’autres hôpitaux, CLSC et ressources en santé sexuelle de pratiquer des examens médicolégaux » pour augmenter l’accès à ces services.

Le cabinet du ministre de la Santé a reconnu par courriel la variété des besoins de chaque territoire. « Une chose est certaine, si des améliorations sont nécessaires dans certaines régions, nous allons les mettre en place », a-t-il ajouté en réponse à nos questions.

Le statut

Certains groupes n’ont pas accès au même traitement après une agression sexuelle.

D’abord, la trousse médicolégale n’est accessible gratuitement qu’aux personnes inscrites à la RAMQ. Ce critère exclut d’emblée les personnes qui n’ont pas de statut, comme les travailleurs temporaires ou les étudiants étrangers, souligne Justine Chénier.

Un autre enjeu : la langue. « Ce ne sont pas toutes les personnes survivantes qui parlent l’anglais ou le français », observe Justine Chénier. Dans un système de santé déjà complexe, la barrière linguistique constitue un frein de plus pour les personnes allophones en quête de traitement, « d’où l’importance d’offrir un service de traduction dans les centres désignés », explique la porte-parole du RQCALACS.