L’Autorité des marchés publics (AMP) déclenche une enquête sur des allégations d’irrégularités qu’auraient commises des soumissionnaires à un appel d’offres mammouth du gouvernement pour retenir les services d’agences privées de placement dans le secteur de la santé.

De son côté, l’organisme public responsable de cet appel d’offres, le Centre d’acquisitions gouvernementales (CAG), vient d’aviser tous les soumissionnaires qu’il mène des « vérifications […] suivant des dénonciations reçues ».

Un total de 240 entreprises de placement temporaire pour infirmières et autres employés de soutien dans le domaine de la santé ont participé à l’appel d’offres. Seulement 133 ont obtenu un contrat à la suite de l’adjudication.

Les 107 autres agences ont été écartées du marché, parce que le taux horaire qu’elles réclamaient par travailleur était trop élevé, atteignant plus du double du plus bas soumissionnaire.

« Le CAG a reçu diverses communications comportant des informations et des dénonciations concernant l’appel d’offres. En conséquence, le CAG a décidé de préserver les droits de tous les soumissionnaires et de prolonger la durée de validité des soumissions de 25 jours, le temps qu’il complète les vérifications nécessaires », nous a indiqué l’organisme par courriel.

« Irrégularités majeures »

Le 8 juin, La Presse a révélé que la plus importante association d’agences privées de placement avait destitué deux de ses administrateurs, qu’elle soupçonne d’avoir commis des « irrégularités majeures » dans le cadre de cet appel d’offres attribué récemment par le gouvernement Legault. Il s’agit de Dany Côté et de Martin Legault, deux propriétaires d’agences.

L’association Entreprises privées de personnel soignant du Québec (EPPSQ) allègue qu’ils ont fait « des soumissions multiples » dans le cadre de l’appel d’offres « via diverses entités ». Cela leur aurait permis de « contourner la règle du soumissionnaire unique et de l’adjudicataire unique ».

Toujours selon l’association, il y aurait des liens étroits entre 24/7, dont est actionnaire Dany Côté, et une autre agence, Confort Élite. Martin Legault est quant à lui fondateur d’une entreprise cotée en Bourse, Premier soin d’Amérique, qui possède les filiales Code bleu, Placement premier soin et Solution nursing Pha. Ces trois agences ont toutes obtenu des rangs différents dans l’attribution du contrat gouvernemental.

Les entreprises visées par les allégations d’irrégularités démentent fermement s’être entendues pour fixer des prix. Martin Legault soutient avoir respecté « scrupuleusement la législation en vigueur visant à empêcher la collusion » et que ses activités sont « irréprochables ».

L’AMP se disait jusqu’ici « à l’étape de l’analyse du dossier » après avoir reçu une dénonciation. Le chien de garde des contrats publics, créé dans la foulée de la commission Charbonneau, précise maintenant qu’une enquête a été déclenchée. « Pendant la durée des vérifications en cours, l’AMP ne confirmera pas ni infirmera toute information en lien avec le dossier (sa nature, l’échéancier, les étapes, les hypothèses) dans un souci de ne pas nuire au travail des enquêteurs. Cependant, vous pouvez être assuré que l’AMP n’hésitera pas à intervenir si un organisme public n’a pas agi en conformité avec le cadre normatif ou si une entreprise ne satisfait pas aux exigences élevées d’intégrité auxquelles on est en droit de s’attendre », a indiqué le porte-parole Stéphane Hawey.

Des « vérifications »

Dans une lettre envoyée aux soumissionnaires, le CAG annonce de son côté qu’il procède à des « vérifications à l’égard de cet appel d’offres suivant des dénonciations reçues ».

« Dans ce contexte », il a décidé d’utiliser une clause du contrat déjà attribué à près de 100 agences de placement pour « prolonger la durée de validation des soumissions » dont l’échéance était prévue le 19 juin. Le délai est prolongé de 25 jours, au 14 juillet, mais le CAG n’écarte pas d’avoir à se donner plus de temps. « Si un délai supplémentaire s’avérait nécessaire, nous verrions à vous en informer. S’il y a lieu, soyez assurés que nous agirons promptement et avec toute la diligence nécessaire dans les circonstances », écrit-il.

Ce contrat gouvernemental, d’une envergure sans précédent, vise à combler des besoins estimés à plus de huit millions d’heures de travail par année dans le réseau de la santé, notamment pour des infirmières et des préposés aux bénéficiaires. C’est l’équivalent de plus de 4500 travailleurs à temps plein sur une année complète.

L’histoire jusqu’ici

19 décembre 2022

Le Centre d’acquisitions gouvernementales (CAG) lance un appel d’offres pour obtenir les services de main-d’œuvre indépendante dans le secteur de la santé au cours des deux prochaines années.

1er juin 2023

Le CAG conclut le contrat et retient les services de près de 100 agences de placement.

8 juin 2023

La Presse révèle que deux propriétaires d’agences sont destitués de leur poste au conseil d’administration de la plus importante association de ce secteur, qui les soupçonne d’avoir commis des « irrégularités majeures » dans l’appel d’offres.

9 juin 2023

Le gouvernement dit s’en remettre à l’Autorité des marchés publics pour déterminer si une enquête doit avoir lieu. L’organisme en déclenche une par la suite après une dénonciation.