Une fraction importante des personnes consommant des opioïdes dans la métropole pourraient être exposées sans le savoir à un tranquillisant pour chevaux, la xylazine, qui fait déjà des ravages ailleurs au Canada et aux États-Unis.

Le produit a été détecté dans 30 % des 50 échantillons d’urine fournis dans une récente étude par des utilisateurs de drogues qui avaient consommé du fentanyl ou l’un de ses dérivés, indiquent des données détaillées fournies jeudi à La Presse par la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal.

L’organisation avait lancé un appel à la vigilance dans un document transmis en début de journée aux intervenants du milieu de la santé en signalant avoir « eu la confirmation d’une exposition significative » à la xylazine dans la métropole.

Le texte citait les résultats préliminaires d’une étude de dépistage montrant que 5 % des 300 échantillons d’urine recueillis à l’automne 2022 à Montréal auprès de consommateurs de drogues illicites aux profils variés contenaient le tranquillisant.

Il ne précisait cependant pas le taux de contamination obtenu en considérant uniquement les échantillons contenant également du fentanyl ou l’un de ses dérivés.

PHOTO HILARY SWIFT, THE NEW YORK TIMES

Campement de fortune dans le quartier de Kensington, à Philadelphie, où la xylazine fait des ravages chez les utilisateurs de drogues illicites.

La xylazine est utilisée de plus en plus souvent pour couper des drogues de cette nature. Dans certaines villes particulièrement touchées aux États-Unis, comme Philadelphie, près de 90 % des échantillons de fentanyl analysés en laboratoire en contiennent.

La Dre Carole Morissette, médecin-conseil rattachée à la DRSP de Montréal, a indiqué en entrevue jeudi matin que le taux de contamination relevé de 5 % était « préoccupant », mais ne donnait qu’une image partielle de la gravité de la situation, particulièrement en ce qui a trait aux opioïdes. Des données plus détaillées à ce sujet ont été transmises par la suite à La Presse.

La xylazine augmente les risques de surdose lorsqu’elle est utilisée en combinaison avec des opioïdes comme le fentanyl et peut entraîner, en cas de consommation chronique, des lésions cutanées importantes.

Autorités sur le qui-vive

Le DRSP de Montréal a demandé dans son appel à la vigilance que les cliniciens du réseau de la santé signalent « dans les meilleurs délais » tout cas de surdose présentant des symptômes « compatibles » avec la présence de xylazine. Les intervenants du milieu sont appelés par ailleurs à « intensifier » les actions de prévention.

Les autorités sanitaires ontariennes ont également sonné l’alarme récemment quant à la présence croissante du tranquillisant dans l’approvisionnement en drogues illicites de la province.

Santé Canada s’inquiète de son côté de l’augmentation du nombre d’échantillons analysés dans ses laboratoires qui en contiennent et envisage d’encadrer plus étroitement la vente du produit dans le secteur vétérinaire pour éviter les abus.

Le Vermont, qui jouxte le Québec, multiplie aussi les mises en garde en relevant que le tranquillisant est détecté dans un nombre croissant de cas de surdose.

Toxique et complexe

La situation au Québec est mal connue puisque les établissements ne recherchent pas systématiquement la présence de la xylazine. La Dre Morissette a indiqué jeudi que des efforts étaient en cours notamment pour renforcer les capacités d’analyse de laboratoires clés.

La Dre Marie-Ève Goyer, qui est la cheffe médicale des programmes de dépendance et d’itinérance du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, ne s’étonne pas que le tranquillisant soit présent dans les drogues illicites de la province.

On court souvent après le train au Québec. On ne détecte pas en temps réel ce qui se passe. Quand on voit que ça arrive chez nos voisins, on se dit que ça va venir chez nous, mais c’est souvent déjà là.

La Dre Marie-Ève Goyer, cheffe médicale des programmes de dépendance et d’itinérance du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

La spécialiste souligne que le marché des drogues illicites évolue à toute vitesse et que des contaminants de plus en plus toxiques et dangereux font leur apparition, compliquant la tâche des intervenants sur le terrain.

« Je n’ai jamais vu ce que je vois actuellement chez mes patients », souligne la médecin, qui se dit incapable de traiter certains cas avec des molécules traditionnelles comme la méthadone en raison de la complexité et de la toxicité des produits consommés.

« Au niveau médical, je ne vais jamais pouvoir gagner cette bataille-là », relève-t-elle.

La multiplication des services permettant d’analyser le contenu des drogues illicites avant consommation et des efforts de dépistage rapide en clinique et en milieu hospitalier pourrait contribuer à freiner le problème causé par l’arrivée de la xylazine et d’autres contaminants dangereux, note la Dre Goyer.

« Mais ça va prendre une décision d’élargir les tests et ça va coûter de l’argent », rappelle la médecin, qui aimerait voir les problèmes de toxicomanie recevoir autant d’attention de la société québécoise que la COVID-19.

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    Nombre d’échantillons de drogues illicites testés en 2022 à travers le pays dans les laboratoires de Santé Canada qui contenaient de la xylazine
    Source : Santé Canada