Un CLSC construit au coût de 45 millions de dollars dans le plus petit village du Nunavik, Aupaluk, n’a pas pu accueillir un seul patient depuis sa livraison, il y a un an et demi, a appris La Presse.

Les pépins se sont succédé depuis la livraison officielle de l’édifice en 2021. Parmi les imprévus : quand le CLSC a été branché au réseau d’électricité d’Aupaluk, l’ensemble du village a été plongé dans le noir. De plus, des conteneurs remplis de matériel envoyés par bateau en juillet 2021 pour meubler le nouveau CLSC n’ont pas été vidés et sont repartis pleins vers le Sud quelques semaines plus tard. Si bien que le matériel a dû être envoyé de nouveau à l’été 2022, a appris La Presse.

Un vaste projet

C’est en 2018 que la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik (RRSSSN) a lancé un appel d’offres pour la construction d’un nouveau CLSC à Aupaluk. Le bâtiment doit notamment abriter une unité d’urgence avec une salle de réanimation, une clinique dentaire ainsi que des locaux pour la direction de la protection de la jeunesse et pour des ressources locales visant à faciliter l’accès aux services de justice.

L’entreprise Pépin Fortin a remporté le contrat de construction et a livré la bâtisse de 2315 m⁠2 en juillet 2021. Mais depuis, l’établissement n’est toujours pas accessible à la population.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE PÉPIN FORTIN CONSTRUCTION

Vue de l’intérieur du CLSC

Questionnée sur les retards de mise en service du CLSC d’Aupaluk, la RRSSSN a d’abord indiqué à La Presse que l’ouverture avait été retardée « en raison de la pandémie de COVID-19 et d’une déficience imprévue du système de chauffage ». La Régie a aussi invoqué le fait que la pandémie avait « retardé l’installation des principaux équipements et du mobilier ». « Des équipes de spécialistes s’affairent actuellement aux réparations nécessaires pour rendre la structure sécuritaire. L’ouverture est prévue au printemps [2023] », a-t-on souligné.

Le village plongé dans le noir

Or, La Presse a appris que lorsque le bâtiment a été terminé et relié à la génératrice du village pour sa mise en fonction, toutes les habitations de la communauté de 200 habitants ont été privées de courant, la plongeant dans le noir.

L’entreprise Pépin Fortin explique avoir livré le bâtiment il y a 18 mois et a redirigé les questions de La Presse vers la RRSSSN.

Relancée à ce sujet, la Régie affirme que le système de chauffage « présentait un problème intermittent ».

C’est pourquoi le CLSC ne pouvait pas ouvrir. Avec l’aide de nos professionnels, la solution a été trouvée et le système sera réparé dans les plus brefs délais.

La Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik

En ce qui concerne l’équipement et le mobilier, la Régie confirme que cinq conteneurs sont arrivés par bateau à Aupaluk, en juillet 2021. Trois d’entre eux ont été vidés le 22 octobre 2021. Mais deux d’entre eux ne l’ont pas été à cause du « manque de place dans le garage ». L’entreprise de transport par bateau est repartie avec les deux conteneurs toujours pleins le 23 octobre. « Quelqu’un leur a dit qu’ils pouvaient prendre les deux autres conteneurs. Nous n’avons pas été en mesure de vérifier qui », indique la Régie, qui assure que les conteneurs ont été renvoyés gratuitement à l’été 2022. Entraînant toutefois de nouveaux délais.

Le choix du site

Les besoins en soins de santé sont grands au Nunavik. Une récente enquête de La Presse a mis au jour les longs délais pour obtenir des soins en cas d’urgence, ce qui entraîne parfois des morts évitables. Des patients et médecins avaient pris la parole à cette occasion pour réclamer plus de soins et de services dans le Nord⁠1.

Le CLSC d’Aupaluk est attendu avec impatience. Mais sur le terrain, beaucoup se demandent tout de même pourquoi les autorités de santé ont choisi de construire un si vaste établissement dans une localité d’à peine 200 habitants, alors que les besoins sont criants dans d’autres localités plus populeuses.

La réflexion est importante. Car un projet majeur de construction d’un nouvel hôpital de 460 millions de dollars est dans les cartons à Kuujjuaq, sur la côte est du Nunavik. Or, comme l’a fait remarquer le Centre de santé Innulitsivik en octobre dernier lors d’une séance de son conseil d’administration, les besoins au chapitre des soins de santé au Nunavik et les plus fortes croissances de population se trouvent plutôt sur la côte ouest, sur les rives de la baie d’Hudson⁠2.

À la RRSSSN, on explique que le vieux CLSC d’Aupaluk est situé dans une ancienne maison de 136 m⁠2 construite en 1979. « Il s’agit de l’installation la plus petite et la plus désuète » du territoire. « Il était logique de commencer le programme de construction-réfection des installations par Aupaluk », assure la Régie. La nouvelle bâtisse doit aussi servir d’abri de sécurité civile pour héberger la population en cas d’imprévu, comme un incendie majeur, une inondation ou une panne d’électricité. D’où sa taille.

Le maire d’Aupaluk, David Angutinguak, explique que le nouveau CLSC est attendu depuis des années dans sa communauté. « On l’a finalement obtenu, après beaucoup de démarches et de délais. On l’a enfin. Mais il se tient là, et n’est toujours pas utilisé. Pour des raisons qu’on nous explique peu », déplore-t-il.

1 Lisez « La mortalité cachée du Nunavik » 2. Lisez « Un futur hôpital qui ne fait pas l’unanimité »

Population en date de 2021

Baie d’Hudson : 7917

Baie d’Ungava : 6128

Taux de croissance moyen de la population de 2016 à 2021

Baie d’Hudson : 19,5 %

Baie d’Ungava : 2,2 %

Source : Statistique Canada