Le médicament le plus cher de la planète, le Zolgensma, sera administré au Québec à partir du 20 octobre, a appris La Presse. Une dizaine de familles de la province faisaient pression pour que la thérapie génique, qui coûte 2,8 millions de dollars la dose, soit offerte à leurs enfants atteints d’amyotrophie spinale, comme en Ontario et en Alberta.

« Je capote ! Hier soir, c’était la première fois que je m’entendais rire depuis des mois », lance Julie Trubiano, mère de deux fillettes atteintes de la maladie qui s’attaque tour à tour aux muscles, à la déglutition, à la respiration, puis au cœur.

Le Zolgensma produit par la pharmaceutique Novartis ne guérit pas l’amyotrophie spinale, mais il freine l’apparition des handicaps. Surtout, il est administré en une seule et unique dose, une révolution pour les familles touchées par la maladie.

Actuellement au Québec, la plupart des enfants atteints d’amyotrophie spinale subissent sept ponctions lombaires et sept injections, sous anesthésie générale, dans l’année qui suit le diagnostic. Le traitement est ensuite répété tous les quatre mois pour le reste de leurs jours.

Cette médication est particulièrement « traumatisante », raconte Julie Trubiano, la mère d’Annabelle, 2 mois, et d’Élisabeth, 21 mois. « Annabelle, vu qu’elle est trop jeune, on la maintient en contention. On la tient en crevette, les pieds sur le nez. Elle a eu quatre ponctions lombaires, comme ça, à froid. Pendant 30 minutes, tout le monde dans la salle [d’opération] se sent terriblement mal d’entendre un bébé hurler. L’ambiance est tellement lourde. »

Élisabeth, elle, dès qu’on rentre à l’hôpital, elle sait ce qui l’attend. Elle se met à hurler. C’est déchirant d’entendre les appels à l’aide de ta fille.

Julie Trubiano, mère d’Élisabeth

Dès la semaine prochaine, les hôpitaux du Québec pourront administrer le Zolgensma, par perfusion intraveineuse, aux enfants de moins de 6 mois répondant à certains critères. « Un critère ouvre la porte à une utilisation chez des enfants plus âgés, au cas par cas, selon l’état clinique », explique une source au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) qui n’est pas autorisée à s’adresser aux médias. Aux États-Unis, le médicament est offert aux enfants de moins de 2 ans.

Annabelle a donc de fortes chances d’obtenir une dose de Zolgensma, mais peut-être pas sa sœur aînée. « Je suis super reconnaissante pour Annabelle, mais je me sens coupable pour Élisabeth, dit Julie Trubiano. J’espère que je n’aurai pas à lui expliquer pourquoi elle doit régulièrement subir des ponctions lombaires, mais pas sa sœur. »

Près de 3 millions la dose

Santé Canada a approuvé le Zolgensma en décembre 2020. Quelques mois plus tard, l’Ontario et l’Alberta ont décidé d’offrir le médicament, à certaines conditions, même si les négociations sur le prix d’achat n’étaient pas encore conclues.

« Considérant le prix élevé du médicament, une négociation pancanadienne, à laquelle le Québec a participé activement, a été menée par les provinces pour obtenir un prix plus acceptable. Cette négociation a été couronnée de succès dans les derniers jours », lit-on dans le communiqué de presse publié ce vendredi.

D’ici la fin de l’année financière, une douzaine de patients pourraient recevoir le Zolgensma, estime notre source au MSSS.

Bryn Williams-Jones, directeur du programme de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, affirme qu’une évaluation minutieuse est effectuée chaque fois qu’un nouveau traitement est ajouté à la Liste des médicaments fournis en établissements de santé.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Bryn Williams-Jones, directeur du programme de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

On ne calcule pas juste le coût [en argent]. On calcule les coûts sur la qualité de vie des patients.

Bryn Williams-Jones, directeur du programme de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

« Ce n’est jamais un questionnement qui est simple. On regarde l’âge des patients, l’efficacité de l’intervention. Est-ce que ce sont des soins palliatifs ou curatifs ? Sans le traitement, est-ce que la qualité de vie de la personne sera affectée lourdement ? Et combien de personnes sont atteintes de la maladie ? Est-ce que c’est une maladie hyper répandue ou seulement quelques personnes sont touchées chaque année ? », précise le bioéthicien.

Pour un dépistage à la naissance

Le Zolgensma n’est pas un remède miracle, prévient toutefois la Dre Maryam Oskoui, neurologue à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Les handicaps développés avant le diagnostic ne disparaîtront pas grâce au médicament.

Par contre, les enfants qui commencent un traitement avant l’apparition de leurs premiers symptômes, que ce soit le Zolgensma ou un autre médicament, vont se développer normalement, dit-elle. Pour cette raison, la Dre Oskoui plaide pour que l’amyotrophie spinale soit ajoutée à la liste des maladies rares qui sont dépistées dès la naissance des enfants du Québec. L’Ontario le fait déjà. L’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) étudie d’ailleurs la question et devrait publier son avis très prochainement.

« On ne peut pas se fier aux antécédents familiaux. En ce moment, une personne sur 40 est porteuse de la maladie. Pourtant, quand le premier enfant d’une famille est diagnostiqué, très souvent, les parents ignorent qu’ils sont porteurs », explique la Dre Oskoui.

Le dépistage néonatal est nécessaire parce que plus le traitement est introduit rapidement, plus la qualité de vie des enfants sera bonne.

La Dre Maryam Oskoui, neurologue à l’Hôpital de Montréal pour enfants

Audrey Cueillierrier en sait quelque chose. Jacob, son fils de 16 mois, peine à se tenir assis et il n’a aucun tonus dans les jambes. Il a reçu un diagnostic d’amyotrophie spinale il y a trois mois.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Audrey Cueillierrier et Frédérick Beaulieu ignoraient qu’ils étaient porteurs de la maladie. Si leur fils Jacob avait été dépisté dès la naissance, il mènerait une vie comme tous les autres petits garçons de 16 mois.

« C’est une question de kilomètres avec l’Ontario. Si on avait su à la naissance, on aurait commencé un traitement tout de suite. Jacob se serait développé normalement, il marcherait, il parlerait avec les autres enfants de façon normale. C’est frustrant. C’est décourageant », lance Audrey Cueillierrier qui espère que son enfant pourra obtenir une dose de Zolgensma.

« En Ontario, il aurait commencé ses traitements 13 mois plus tôt », poursuit le père de Jacob, Frédérick Beaulieu.

« Là, il va falloir regarder les années qui passent et croiser les doigts pour que tout aille pour le mieux pour Jacob. »

En chiffres

8

Nombre d’enfants qui naissent avec la maladie chaque année, au Québec, en moyenne

1/10 000

L’amyotrophie spinale touche environ 1 personne sur 10 000. Il s’agit de l’une des principales causes génétiques de décès chez les enfants en bas âge.

1/40

Environ 1 personne sur 40 est porteuse génétique de la maladie, c’est-à-dire qu’elle porte le gène mutant sans toutefois être atteinte de la maladie.

2 ans

Dans la majorité des cas, si les enfants sont traités avant l’apparition de leurs premiers symptômes ou rapidement après leur diagnostic, ils vont avoir une espérance de vie normale. Sans traitement, l’espérance de vie dépasse rarement deux ans.

Sources : INESSS et Dystrophie musculaire Canada