(Ottawa) Plus d’une trentaine de sociétés pharmaceutiques canadiennes ont lancé le mois dernier un appel direct au premier ministre Justin Trudeau, l’enjoignant à retarder une troisième fois la nouvelle réglementation sur les prix des médicaments.

Les entreprises disent avoir besoin de plus de temps pour tenter de faire valoir au gouvernement que la réglementation entravera la promesse de M. Trudeau de reconstruire le secteur des sciences de la vie au Canada. Elles soulignent que la pandémie les a empêchées de le faire.

« Nous voulons avoir une discussion approfondie sur le secteur des sciences de la vie au Canada. Nous voulons aussi parler des moyens pour renforcer la résilience afin que Canada soit mieux positionné pour affronter la prochaine pandémie, dit le PDG de Pfizer Canada, Cole Pinnow. Mais ce n’est pas le moment. »

M. Pinnow est l’un des 34 dirigeants de sociétés pharmaceutiques et d’associations à avoir signé la lettre transmise à M. Trudeau le 18 mai. Il demande que la nouvelle réglementation n’entre pas en vigueur le 1er juillet comme prévu.

Cette réforme apportera des changements majeurs à la façon dont le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB) s’assure que les médicaments encore protégés par un brevet — et donc sans concurrence — ne sont pas excessifs.

Elle modifiera la façon dont les pays sont choisis à des fins de comparaison des prix et introduira de nouveaux facteurs économiques pour orienter ces prix. Elle permettra aussi au Conseil de connaître les remises négociées par les sociétés pharmaceutiques et les gouvernements provinciaux.

On estime que ces changements pourraient réduire les prix des médicaments de 13 milliards au cours des 10 prochaines années.

Élaborée au cours des cinq dernières années, la nouvelle réglementation devait entrer en vigueur en juin 2020, mais cela a été retardé de six mois. Quelques jours avant la mise en place du 1er janvier, la ministre de la Santé Patty Hajdu a accepté de retarder le processus de six mois supplémentaires.

Les Canadiens paient parmi les prix les plus élevés pour les médicaments de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Le prix moyen est d’environ un tiers de celui payé aux États-Unis, à peu près le même qu’en Allemagne, un peu plus qu’au Japon et en Italie, et 20 à 30 % de plus qu’au Royaume-Uni et en France.

Une porte-parole de la ministre de la Santé Patty Hajdu a déclaré que la mise en œuvre de la réforme, toujours prévue le 1er juillet, n’avait été retardée que pour donner à l’industrie le temps de s’adapter.

Aisling MacKnight a rappelé qu’il s’agissait de la réforme la plus importante du CEPMB depuis plus de 30 ans. « Aucun Canadien ne devrait avoir à choisir entre payer ses ordonnances et mettre de la nourriture sur la table », souligne-t-elle.

L’industrie pharmaceutique affirme que la réglementation ajoutera un fardeau administratif déraisonnable aux entreprises. Elle ajoute qu’une certaine incertitude planera sur le prix qu’elles pourront vendre leurs les nouveaux médicaments. Cela les incitera à ne pas investir au Canada.

Le recul de la recherche au Canada a été au centre de l’attention au cours de la pandémie de COVID-19, car le pays est entièrement dépendant des vaccins importés pour protéger la population.

M. Trudeau a promis de ramener le secteur pharmaceutique canadien à sa gloire d’antan et de faire du Canada un chef de file mondial de la biotechnologie et des médicaments. Le gouvernement a déjà promis des milliards de dollars en nouveaux investissements pour agrandir et construire de nouvelles installations de production de médicaments, et pour soutenir la recherche au Canada.

Selon M. Pinnow, cet objectif sera compromis si la réglementation entre en vigueur, car elle va étouffer l’investissement privé à un moment où la concurrence dans ce domaine se fait de plus en plus féroce.

« Le CEPMB a été adopté avant la pandémie, rappelle-t-il. Son cadre et l’approche choisie pour élaborer les règlements et leur mise en œuvre doivent être revus. »

Dans des documents obtenus par les conservateurs dans le cadre d’une demande d’accès à l’information, le Conseil dénonce la campagne de désinformation et de peur menée par les sociétés pharmaceutiques qui menacent de ne plus vendre de médicaments innovants au Canada si la réglementation entre en vigueur.

« En menaçant de refuser de nouveaux médicaments au Canada à moins que nous continuions à payer parmi les prix les plus élevés au monde, l’industrie retient les patients canadiens en otage, peut-on lire dans un de ces documents. L’industrie fait passer les profits en premier et les patients en deuxième position, malgré leurs affirmations contraires. »

Le CEPMB a demandé à La Presse Canadienne de poser ses questions sur la réglementation à Santé Canada.

La porte-parole conservatrice en matière de santé, Michelle Rempel Garner, espère que la réglementation serait à nouveau retardée.

Elle souligne que la pandémie a également changé la façon dont le Canada voyait l’industrie. En soi, cela justifierait le gouvernement de retourner à la planche à dessin.

« Je ne pense pas que quiconque serait d’accord pour dire que la solution adoptée il y a 18 mois convient actuellement, dit Mme Rempel Garner. C’est vraiment un moment où nous devons nous asseoir. »