(Ottawa) Les sénateurs ont entendu deux descriptions complètement différentes de l’expérience des patients qui reçoivent l’aide médicale à mourir au Canada : une belle mort paisible, ou bien une mort douloureuse, qui s’apparente à une noyade.

Ces deux perspectives ont été exposées par des médecins, qui ont comparu mardi soir devant le comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat, qui étudie le projet de loi C-7.

Le projet de loi élargirait le régime canadien d’aide médicale à mourir (AMM) pour inclure les personnes qui souffrent de façon intolérable, mais qui ne sont pas près de la fin de leur vie naturelle.

Le docteur Timothy Holland, évaluateur et prestataire de l’AMM de la Nouvelle-Écosse, a déclaré que pour les patients, la procédure est « une dérive relaxante vers le sommeil ».

« C’est un évènement beau et inspirant, a-t-il témoigné. C’est une chose positive. La tragédie est la maladie qui s’est produite, l’AMM est la bénédiction qui permet au patient d’avoir le contrôle sur cette perte. »

Le docteur Holland était ému en disant que tout le monde souhaitait mourir paisiblement, entouré de ses proches, « de pouvoir dire ces dernières paroles parfaites et avoir ce moment de paix pour permettre à nos proches de dire ces parfaits adieux. »

« Et c’est ce qui se passe dans une procédure d’AMM. Je me sens incroyablement chanceux d’avoir le grand privilège d’être témoin de ces évènements, une vie d’amour et de connexion qui culmine dans ce magnifique adieu. »

Le docteur Holland a aussi fourni aux sénateurs une description détaillée de la façon dont la procédure est effectuée. Le plus souvent, dit-il, trois médicaments sont injectés : le midazolam pour détendre le patient, puis le propofol pour induire « un coma médical profond » qui cessera la respiration et enfin le rocuronium, un médicament paralysant pour s’assurer que le patient arrête de respirer.

Le manque d’oxygène qui en résulte provoque l’arrêt des organes, un par un, jusqu’à ce que le cœur s’arrête. Puisque le patient est dans le coma, il ne ressent rien de cela, a-t-il assuré.

Une sensation de noyade

Mais le docteur Joel Zivot a rétorqué que l’AMM apparaît paisible simplement parce que le médicament paralysant empêche le patient de bouger ou de montrer de l’inconfort.

Le docteur Zivot, un professeur agrégé d’anesthésiologie et de soins intensifs à l’Université Emory d’Atlanta, en Géorgie, a admis qu’il n’avait jamais fourni l’AMM ou assisté à la procédure.

Mais selon ses études des autopsies de criminels aux États-Unis qui ont été exécutés par injection létale, une mort assistée « pourrait être extrêmement douloureuse et ressemblerait davantage à une noyade », a-t-il soutenu.

Le docteur a mentionné que dans 85 % des cas d’exécution, les poumons avaient deux fois leur poids normal et étaient remplis d’eau — résultat de l’utilisation du phénobarbital dans le cocktail de médicaments.

« Cela signifie que lorsqu’une personne meurt par injection létale, elle se noie essentiellement […] C’est plus proche de la mort par simulacre de noyade que nous reconnaissons être cruelle », a-t-il déclaré, faisant référence à une technique de torture utilisée pour simuler la noyade.

Si des autopsies étaient pratiquées sur des personnes qui ont reçu l’AMM, le docteur Zivot estime que les résultats seraient similaires.

« Sur la base de mes connaissances en pharmacologie et de ma connaissance de ces médicaments, je suggérerais qu’il y a une forte probabilité que les mêmes choses soient trouvées », a-t-il avancé.

Il a indiqué que les médicaments utilisés dans les procédures d’AMM au Canada sont similaires à ceux utilisés dans les exécutions aux États-Unis, où le midazolam a remplacé le phénobarbital.

De plus, selon le docteur Zivot, le propofol, lorsqu’il est utilisé pour anesthésier un patient pour une intervention chirurgicale, peut provoquer une sensation de brûlure dans les poumons — et dans ce cas, on utilise seulement un dixième de la dose administrée pendant l’AMM. Mais l’utilisation du médicament paralysant dans l’AMM signifie que le patient ne peut pas montrer de détresse.

« De dire que la mort que la personne vit est paisible, eh bien, c’est inconnaissable ou faux », a-t-il lancé.

Pas une comparaison valable

Le docteur Holland a farouchement nié les affirmations de l’autre intervenant, plaidant qu’il ne pouvait pas y avoir de comparaison entre le régime médicamenteux « très grossier » des exécutions et le « régime médicamenteux incroyablement élégant » de l’AMM.

Le phénobarbital n’est pas utilisé dans les procédures d’AMM, a-t-il souligné, et le midazolam n’est pas utilisé pour mettre fin à la vie, comme dans les exécutions aux États-Unis, mais seulement à petites doses pour détendre le patient.

Quant au propofol, le docteur Holland a affirmé qu’il était employé tout le temps dans l’anesthésie des patients pour des chirurgies, pour replacer des os cassés ou pour l’intubation. Et, dit-il, les médecins savent comment les patients vivent cela puisque quand ils reprennent conscience, « ils n’ont aucune mémoire de (l’intervention qu’ils viennent de subir) et n’ont eu aucune sensation ».

Des doses beaucoup plus importantes de propofol sont utilisées dans les procédures d’AMM pour s’assurer que les patients tombent dans un état d’inconscience profond, a-t-il ajouté.

« L’idée que cela brûle vifs leurs poumons, cela n’a pas été vu dans les blocs opératoires, a-t-il argué. Il est impossible de penser que ce patient puisse en quelque sorte être conscient car il est alors paralysé par le rocuronium. Cela va à l’encontre de tout ce que nous comprenons en médecine. »

Le docteur Jonathan Reggler, clinicien de l’AMM et membre du conseil d’administration de Dying With Dignity Canada, a indiqué mercredi que le médicament paralysant n’est utilisé que par prudence.

« La seule raison pour laquelle le rocuronium est administré est la crainte que le patient respire encore une fois que le propofol a été administré et que le patient est dans le coma », a-t-il expliqué dans un communiqué.

« Dans tous les décès médicalement assistés que j’ai fournis — bien plus de 100 — je n’ai jamais vu un patient respirer encore après que les quatre seringues de propofol aient été administrées. »