(Ottawa) Les urgences dans les hôpitaux canadiens, déjà aux prises avec un temps d’attente très long, pourraient bien avoir du mal à faire face à une véritable propagation du nouveau coronavirus au pays, craignent des experts médicaux.

Jusqu’à présent, le virus a été relativement confiné en Chine continentale, en partie grâce à l’une des plus grandes quarantaines de l’histoire moderne.

« Nous ne devons pas regarder en arrière et regretter de ne pas avoir profité de la fenêtre d’opportunité que nous avons maintenant », a déclaré vendredi le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Le risque de contracter le COVID-19 au Canada en ce moment est extrêmement faible. Les responsables de la santé publique ont été loués pour leurs efforts visant à détecter et à isoler les neuf cas confirmés dans le pays jusqu’à présent.

Les tests imposés à des centaines de patients dans tout le pays ont été négatifs, ce qui semble démontrer que le système de contrôle fonctionne comme il doit.

Le cas récemment confirmé d’une Canadienne âgée de la trentaine qui a contracté le virus en Iran soulève des inquiétudes quant à une possible augmentation de cas non détectés dans le monde.

« Tout cas lié à l’Iran pourrait être un indicateur d’une transmission plus répandue que nous ne le pensons », a déclaré vendredi l’administratrice en chef de la santé publique, Theresa Tam.

Le Canada a pris des mesures importantes pour prévenir le genre de tragédie qui a frappé l’Ontario lors de l’épidémie de SRAS en 2003. Pas moins de 44 personnes avaient alors perdu la vie. Le gouvernement a ensuite fondé l’Agence de la santé publique du Canada dont le rôle est de coordonner une intervention à l’échelle nationale.

La coordination s’est améliorée. Le Canada a augmenté ses capacités de ses laboratoires et peut mieux retrouver les gens avec qui les malades potentiels ont été en contact.

PHOTO EDWARD WANG, VIA REUTERS

Un officier de la GRC vérifie l'identité de Canadiens ayant été évacués de Chine, le 7 février.

Une nouvelle stratégie

Toutefois, lorsque le nombre de cas aura atteint une masse critique, le gouvernement devra changer sa stratégie, estime un spécialiste des maladies infectieuses, le Dr Isaac Bogoch, du University Health Network de Toronto.

Selon lui, les autorités canadiennes ressemblent à des joueurs de baseball qui tentent de capter des balles dans le champ extérieur. Au fur et à mesure que le nombre de balles grimpe, elles deviennent plus difficiles à attraper.

« Chaque système de santé a ses limites, explique Bogoch. La question se pose : si nous commençons à être inondés de cas, à quel point pouvons-nous nous étendre nos ressources ? »

De nombreux médecins travaillant dans les urgences s’inquiètent de ce qu’il pourrait se passer s’ils devaient traiter un grand nombre de cas de COVID-19.

Du point de vue de la santé publique, le plus grand défi à relever sera de maintenir la communication entre tous les systèmes de santé au pays, dit la présidente des Médecins de santé publique du Canada, la Dre Jasmine Pawa.

« Nous couvrons une zone géographique très grande », rappelle-t-elle.

Le Dr Alan Drummond, de l’Association canadienne des médecins d’urgence, ne veut pas se montrer alarmiste, compte tenu des progrès réalisés, mais la situation actuelle dans les urgences le fait réfléchir.

« Notre expérience au jour le jour dans des hôpitaux surpeuplés m’amène à me demander à quoi ressemblerait l’intégrité de notre système de santé dans une grande pandémie grave », souligne-t-il.

Sa grande crainte est de voir qu’une grande propagation du virus aura des répercussions importantes, en entraînant notamment des annulations de chirurgies ou en accordant des congés à des patients dans un état stable.

« Il faudra alors prendre des décisions difficiles concernant qui vit et qui décède, étant donné nos capacités limitées à la fois pour les lits pour les soins spécialisés et les lits de soins intensifs. Nous verrions alors un certain degré de rationnement. »

Le problème pourrait être encore plus prononcé en raison du vieillissement de la population canadienne, ajoute le Dr Drummond. Le virus a tendance à frapper plus durement les personnes âgées, selon les observations faites en Chine et à l’étranger. Il est également particulièrement dangereux pour les personnes ayant d’autres problèmes de santé.

Les personnes âgées ont également tendance à rester à l’hôpital même lorsqu’elles sont dans un état relativement stable en raison d’un manque de lits de soins de longue durée à travers le pays. Cela empêche les salles d’urgence de déplacer les patients aigus des urgences vers ces lits, ce qui limite la capacité des hôpitaux à traiter de nouveaux cas.

La Dre Tam a convenu vendredi que la capacité hospitalière est un « aspect crucial » de la préparation du Canada à une éventuelle éclosion de coronavirus. Elle a rappelé que même une très mauvaise saison de la grippe peut avoir un effet similaire sur les salles d’urgence.

« Si nous pouvons retarder l’impact du coronavirus jusqu’à une certaine période, quand il y a moins de grippe par exemple, ce serait également très utile », a-t-elle fait valoir.