(Montréal) La pandémie de coronavirus et le confinement qui en découle représentent une occasion sans précédent d’étudier la prématurité et les mortinaissances, dans l’espoir de comprendre un peu mieux les facteurs qui en sont responsables, estiment deux experts qui se sont entretenus avec La Presse Canadienne.

« Ce confinement et les mesures de santé publique sont une sorte d’expérimentation naturelle de mise au repos d’une très grande partie de la population, a dit la cheffe du service de néonatalogie du CHU Sainte-Justine, la docteure Anne Monique Nuyt.

« Dans le sens de moins de déplacements, moins de stress lié au travail, moins d’exposition aux infections saisonnières comme la grippe et autres virus, moins de pollution et/ou moins d’exposition à la pollution, c’est aussi une possibilité. Donc, est-ce que ceci a eu un impact intéressant sur les grossesses ? »

Deux études publiées récemment par des chercheurs danois et irlandais témoignent d’un déclin pour le moment inexpliqué des naissances prématurées depuis le début du confinement.

Les chercheurs danois ont rapporté une chute dramatique de 90 % des naissances de grands prématurés, à savoir les bébés nés avant 28 semaines de gestation.

« C’est important ce que ces gens-là disent, a estimé le docteur Marc Beltempo, de l’Hôpital de Montréal pour enfants. Il y a un signal et il faut qu’on se pose les bonnes questions. Mais avant qu’on en vienne à une conclusion, il faut savoir, un, est-ce que c’est l’ensemble de la prématurité, incluant aussi une réduction des fausses couches […] et deux, quelles sont les causes de prématurité qui ont diminué avec le temps. »

Variabilité saisonnière

Une grossesse normale dure entre 37 et 40 semaines, mais environ un bébé sur dix naîtra prématurément en Amérique du Nord.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les causes de la prématurité demeurent mal comprises. Des problèmes de santé comme le diabète ou l’hypertension, des infections comme la grippe, ou encore des facteurs comme la pollution, le stress, le statut socioéconomique et la fatigue ont tous déjà été mis en cause.

De plus, ajoute le docteur Beltempo, « on sait qu’il y a une variation saisonnière dans l’incidence de la prématurité ».

« Proportionnellement au nombre d’accouchements, en général on sait que dans les mois d’été au Québec, on a un peu moins de […] bébés prématurés, donc je ne suis pas surpris de voir que dans les dernières semaines c’est un peu moins occupé dans les unités », a-t-il précisé.

Le confinement offre donc une occasion unique d’étudier le phénomène de la prématurité et des mortinaissances pour essayer de discerner ce qui a changé et comment on pourra les combattre à l’avenir.

Plusieurs hypothèses peuvent d’emblée être envisagées, croit le docteur Beltempo.

« Il y a moins d’infections qui circulent, les mères sont moins exposées à des facteurs environnementaux parce qu’elles sortent moins de chez elles […] il y a peut-être [des emplois] ou des positions qui sont plus à risque, et le fait d’être à la maison diminue ça aussi, a-t-il dit.

« Tous ces facteurs-là peuvent peut-être contribuer à une diminution, mais avant d’en arriver à cette conclusion-là, il faut être certains que c’est vrai et quelles causes de prématurité ont diminué avec le temps. »

Responsabilité

La docteure Nuyt estime que les médecins et chercheurs québécois ont la « responsabilité » de profiter des conditions qui leur sont offertes pour tenter de dégager des connaissances qui profiteront ensuite à tous.

« Ça va être vraiment important comme société qu’on saisisse cette occasion-là d’analyser nos données pour en tirer des informations qui sont pertinentes pour la population, a-t-elle dit. Au Québec, on a un système de santé qui est quand même assez accessible à tous, contrairement à d’autres pays, on pense très spécialement à nos voisins du sud, donc on a une sorte de responsabilité à en tirer les meilleures informations et à les diffuser à l’extérieur de nos frontières. »

La pandémie a aussi servi à mettre en relief de façon dramatique les inégalités au sein de nos sociétés, poursuit-elle.

Ainsi, une étude menée dans un hôpital de Londres a constaté que cinq admissions par 1000 concernaient des femmes qui avaient attrapé la COVID, dit la docteure Nuyt.

« [Les chercheurs] ont remarqué que parmi ces femmes enceintes qui avaient attrapé la COVID et qui devaient être hospitalisées pour ça, il y avait une surreprésentation des femmes noires, près de dix fois, des groupes ethniques minoritaires, une surreprésentation des femmes avec surpoids, une surreprésentation des femmes enceintes plus âgées », a-t-elle précisé.

On sait aussi que ce sont davantage ces femmes-là qui ont continué à travailler, notamment dans le système de santé, poursuit la docteure Nuyt. On ne peut donc pas présumer que la pandémie aura eu un impact très positif sur leurs grossesses, qu’elles aient ou non été infectées par le virus.

« Au Québec nous avons de belles données, qui sont bien colligées, il va falloir qu’on en fasse bon usage, que le ministère de la Santé et les chercheurs collaborent pour être capables rapidement d’amener des réponses à la population qui se pose des questions », a-t-elle dit en conclusion.