Bonne nouvelle pour les gens atteints de cancer : trois analyses génétiques capables de déterminer si leur corps tolérera la chimiothérapie seront bientôt accessibles partout au Québec, a appris La Presse. Une trentaine de patients ont récemment évité une mort atroce ou de graves complications grâce à un test semblable - qui est offert depuis deux ans, mais de façon encore aléatoire. Faute d'en avoir bénéficié, un retraité de Sept-Îles a été tué en octobre par le traitement qui devait le sauver.

« Le ministère de la Santé et des Services sociaux prendra les mesures appropriées pour répondre à la demande accrue pour ces tests [appelés génotypages] », écrit la porte-parole Noémie Vanheuverzwijn, dans un courriel envoyé à La Presse.

Un plus grand nombre de laboratoires pourraient par ailleurs être désignés pour les effectuer, précise ce message.

Ces analyses sanguines, peu coûteuses, permettent de découvrir en quelques jours si des mutations génétiques empêchent le patient d'éliminer normalement deux des anticancéreux les plus utilisés pour réduire les tumeurs solides au côlon, au sein, etc. : le 5-Fluorouracil (aussi appelé 5-FU) et la capécitabine (Xeloda).

Chez les gens touchés, la dose standard est trop toxique, car ils ne produisent pas une enzyme vitale (la dihydropyrimidine-déshydrogénase ou DPD), ou trop peu, pour la métaboliser.

En deux ans, le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) a découvert que 25 des 2617 patients ayant bénéficié du dépistage avaient une mutation problématique, révèlent des données présentées au congrès annuel des hématologues et oncologues du Québec et transmises à La Presse. (1)

« On n'a pas donné de 5-FU à certains patients, car ils auraient pu avoir des toxicités qui auraient mis leur vie en danger. Pour d'autres, on a réduit la dose. »

- Le Dr Denis Soulières, directeur du Laboratoire d'hématologie spéciale et biologie moléculaire du CHUM

En dépistant trois mutations génétiques additionnelles, on repérera à temps un plus grand nombre de patients à risque, précise-t-il, mais pas tous, puisque certaines réactions demeurent d'origine inconnue.

Plus de 80 % des 2617 prélèvements analysés au laboratoire du CHUM l'ont été à la demande de médecins de quelque 35 hôpitaux (voir tableau ci-dessous).

D'après les données de l'établissement, au moins cinq malades ont été testés trop tard - soit seulement après que leur premier cycle de chimiothérapie a provoqué de très graves effets secondaires et une hospitalisation de 15 jours par patient, en moyenne.

Les patients dépistés à temps n'ont pas été hospitalisés.

Mort inutile à Sept-Îles

La décision du ministère de la Santé fait suite aux recommandations de l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS), rendues publiques dans un rapport mis en ligne il y a cinq jours.

Ce rapport précise que le génotypage recommandé doit être « intégré dans la planification des traitements » et que les patients doivent être informés de son importance.

Un sondage fait auprès des patients révèle que plusieurs d'entre eux n'avaient jamais été informés de l'existence de ces analyses ni des risques associés à l'administration d'une dose standard, précise l'INESSS.

C'est le cas d'un homme de 69 ans, Armel Beaudin, mort le 24 octobre après une agonie de 20 jours aux soins intensifs, avons-nous appris.

« Lui qui était en santé et toujours de bonne humeur, il ne pouvait plus avaler. Il avait la bouche noire, sa langue était comme un morceau de bois. Il a fait un arrêt cardiaque. Sa peau levait. Toutes ses muqueuses étaient enflées... »

- Anick Beaudin, fille d'Armel Beaudin

Le matin de la mort de M. Beaudin, l'hôpital de Sept-Îles a fait le test génétique recommandé. « S'il avait passé le test et reçu les résultats à temps, mon père serait encore avec nous aujourd'hui », dit la fille de M. Beaudin, Anick Beaudin.

Après la tragédie, Anick Beaudin a découvert en quelques clics de souris l'existence de l'Association francophone de défense des victimes de 5-FU et analogues présentant un déficit en DPD. « Ma soeur et moi, on était vraiment atterrées ! Il existait déjà une association de victimes, mais les médecins ne savaient pas ce qui se passait. Ils nous disaient : "Le temps va arranger les choses..." »

Le cri d'alarme de Colette Bibeau

L'association qu'elles ont découverte a été cofondée par une résidante de Sherbrooke, Colette Bibeau. L'ex-chargée de cours en communications reçoit des messages de toute la francophonie depuis que La Presse a publié, en 2015, un reportage sur son mari Paul Allard, mort dans les mêmes circonstances qu'Armel Beaudin.

Les deux hommes de 69 ans, très actifs, avaient tous deux été opérés avec succès, n'avaient pas de métastases et ont donc été tués par une chimiothérapie purement préventive.

Le cri d'alarme de Mme Bibeau et sa ténacité ont contribué à l'implantation du premier test de dépistage génétique, il y a deux ans. Depuis, elle talonne les autorités sans relâche.

« Quand j'ai eu l'appel d'Anick Beaudin, j'ai décidé de recommencer à pousser. Depuis le début, mon objectif, c'est que l'importance du test soit connue. Pourquoi quand on habite à Sept-Îles on meurt, parce que le médecin n'est pas au courant ou ne veut pas le faire ? Ce n'est pas juste. »

Un homme sauvé à Saint-Hubert

Un retraité de Saint-Hubert, André Belzile, a au contraire survécu grâce à la vigilance de son oncologue de l'hôpital Pierre-Boucher. Il y a un an et demi, l'homme de 66 ans a d'abord reçu 25 % de la dose standard.

« Ils ont monté à 50 % la deuxième fois, et le soir, je me ramassais à l'hôpital en ambulance. Je faisais beaucoup de fièvre. J'étais tout engourdi, raconte-t-il. S'ils me faisaient la chimio à 100 %, ça a l'air que je décédais. C'est ce que les médecins m'ont dit. »

Depuis le 10 septembre, au moins deux patients du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) ont eux aussi été protégés de graves complications grâce au génotypage, indique le Dr Sébastien Chénier. 

Le Service de génétique médicale qu'il dirige a commencé à le faire à l'interne pour éviter les délais d'expédition de prélèvements à Montréal.

Le ministère de la Santé a écrit à La Presse qu'il avisera cette semaine les associations médicales et comités nationaux du Réseau de cancérologie du Québec.

Les nouvelles recommandations de l'INESSS précisent comment ajuster la dose des patients concernés, selon le résultat des tests.

(1) « Expérience de l'implantation du génotype de la mutation DPYD*2A dans la pratique ontologique au Québec », Journal of Clinical Oncology, Catherine Jolivet et autres, CHUM.

Provenance des requêtes de génotypage DPYD acheminées au laboratoire du CHUM en 2017-2018

CHUS-hôpital Fleurimont : 21 %

CHUM : 18 %

Hôpital Charles-Le Moyne : 15 %

Hôpital Maisonneuve-Rosemont : 8 %

Pavillon Sainte-Marie : 8 %

Hôpital de Gatineau : 6 %

Hôpital Pierre-Boucher : 6 %

Hôpital Anna-Laberge : 4 %

Hôpital du Haut-Richelieu : 2 %

Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal : 2 %

Autres (25 établissements, dont le Centre universitaire de santé McGill) : 10 %