Déjà mercredi soir, Nicole Gladu avait poussé un énorme soupir de soulagement en entendant le chef libéral Justin Trudeau dire lors du débat télévisé qu’il ne contesterait pas le jugement sur l’aide médicale à mourir (AMM) s’il était réélu.

Puis hier, celle qui avait remporté son combat devant la Cour supérieure pour obtenir l’accès à l’AMM a crié victoire alors que le gouvernement Legault a annoncé à son tour qu’il n’interjetterait pas appel du jugement récent invalidant la disposition de la loi québécoise qui restreignait l’accès aux malades « en fin de vie ».

« Je suis tellement heureuse des dernières nouvelles », a dit à La Presse cette survivante de la polio atteinte aujourd’hui du syndrome post-poliomyélite – une maladie dégénérative incurable.

« Ça va épargner des fonds publics et des délais inutiles », poursuit cette ancienne journaliste qui remercie les citoyens – en particulier les médias – de soulever « cette question importante » en campagne électorale.

« J’espère que les citoyens vont continuer de pousser dans le dos des élus pour que les changements législatifs se fassent », ajoute la septuagénaire, dont l’état de santé a encore décliné depuis que la décision en sa faveur a été rendue le 11 septembre dernier.

« Je ne suis pas morte, mais je ne suis pas forte », résume-t-elle avant d’insister, avec son franc-parler habituel, sur le fait qu’elle est « très lucide » malgré cet affaiblissement physique.

L’avocat qui a remporté cette victoire en Cour supérieure, Me Jean-Pierre Ménard, est aussi heureux que « le paysage s’éclaircisse » pour les patients souffrant de maladies dégénératives incurables.

Me Ménard encourage toutefois Québec à « avancer prudemment » lorsqu’il rouvrira sa loi. « Il faut abolir le critère de “fin de vie”, mais on doit poursuivre la réflexion quant aux demandes médicales anticipées pour les personnes souffrant d’alzheimer, croit l’avocat spécialisé en droit médical. Il ne faudrait pas aller trop vite sous prétexte que la loi doit être modifiée d’ici six mois. »

Une annonce « rarissime »

Les ministres Danielle McCann (Santé) et Sonia LeBel (Justice) ont qualifié, hier, leur annonce de « rarissime dans notre histoire démocratique ».

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Danielle McCann, ministre de la Santé

« On dédie cette annonce à toutes les Québécoises et à tous les Québécois atteints de maladies graves et incurables et aux prises avec des souffrances persistantes et intolérables. Nous leur donnons le pouvoir et la liberté de décider, et on le fait dans le respect de leur volonté, de leurs valeurs et de leur dignité », a affirmé Mme McCann en conférence de presse hier.

Selon la décision de la Cour supérieure du Québec, les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable qui ont de grandes souffrances physiques ou psychologiques et dont le déclin des capacités est avancé doivent avoir accès à l’AMM même si elles ne sont pas « en fin de vie », l’une des conditions prévues à la loi québécoise qui faisait l’objet de la contestation.

La juge Christine Baudouin invalide cette restriction, tout comme le critère de la loi fédérale exigeant que la mort du patient soit « raisonnablement prévisible ». Elle a déclaré les deux législations inconstitutionnelles sans « aucune hésitation ».

2909
Nombre de personnes ayant reçu l’aide médicale à mourir au Québec depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2016, beaucoup plus que ne l’avaient prévu les parlementaires à l’époque. Il y en a eu 1279 en 2018-2019 seulement, une hausse de 32 % par rapport à l’année précédente.

1,9 %
Proportion des décès par aide médicale à mourir par rapport au nombre total de décès survenus au Québec en 2018-2019

65 %
Proportion des personnes ayant fait une demande d’aide médicale à mourir qui l’ont effectivement reçue (les autres ne correspondaient pas aux critères de la loi, sont décédées avant ou ont retiré leur demande en cours de route)

En obtenant gain de cause en Cour supérieure, Mme Gladu et son codemandeur Jean Truchon ont obtenu l’autorisation de demander l’AMM dès maintenant, s’ils le désirent. Mais pour les autres malades dans la même situation, il faudra attendre.

La juge Baudouin a donné six mois aux gouvernements pour s’ajuster. Les deux ministres ont annoncé que le critère de « fin de vie » demeurait valide d’ici là. « Une réflexion va être entamée au sein des équipes du ministère de la Santé et des Services sociaux quant à savoir si la loi devra être modifiée ou non pour donner suite à la décision et, si oui, comment. Toujours dans le respect du jugement », a affirmé Mme McCann.

Vers un sursis ?

De son côté, Sonia LeBel a souligné que le délai fixé par la juge était « inhabituellement court » et que le gouvernement pourrait demander un sursis. Elle a ajouté que Québec devrait collaborer avec Ottawa pour « harmoniser » les conditions prévues dans leurs lois respectives, « les critères étant reliés ou dépendants les uns des autres ». « On ne peut pas être plus large que le fédéral, vu qu’on parle d’une matière criminelle et du Code criminel », a-t-elle dit.

Le gouvernement Legault avait déjà l’intention d’élargir l’accès à l’AMM d’une autre manière, c’est-à-dire de le permettre aux personnes inaptes comme celles souffrant d’alzheimer. Un groupe d’experts lui a donné le feu vert pour aller de l’avant avec cette mesure, mais à certaines conditions. Rappelons que la loi actuelle exige que la personne soit apte à donner son consentement pour obtenir l’AMM.

Le groupe d’experts recommande à Québec de permettre d’abréger les souffrances « des personnes devenues inaptes à consentir à leurs soins, lorsqu’elles ont préalablement exprimé leur volonté en ce sens », comme La Presse le révélait en juin. Le rapport final n’a pas été rendu public à ce jour.

Le gouvernement se penchera sur cet élargissement tout en menant des travaux devant déterminer s’il est nécessaire ou non de modifier la loi en raison du jugement de la Cour supérieure.

« On perçoit que la population a des attentes dans ce dossier-là et que la population est de plus en plus mûre par rapport au dossier de l’élargissement de l’aide médicale à mourir », a soutenu Danielle McCann.

La position conservatrice

Le chef conservateur Andrew Scheer a déclaré mercredi soir sur le plateau du débat de TVA qu’il valait mieux selon lui « avoir une décision finale pour donner au Parlement le cadre pour légiférer ».

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Andrew Scheer, chef du Parti conservateur

Invité à préciser sa pensée en point de presse à l’issue de la joute oratoire, il a répondu : « Je ferais un appel devant la Cour suprême du Canada afin d’obtenir les limites dans lesquelles le Parlement peut légiférer. »

Or, la date limite pour interjeter appel est le 16 octobre. La décision revient donc au gouvernement en exercice jusqu’à l’élection du 21 octobre, soit le gouvernement de Justin Trudeau. Le ministre de la Justice sortant, David Lametti, a déclaré hier par voie de communiqué que « depuis l’adoption de la loi en juin 2016, nous avons écouté les Canadiens, les experts et les tribunaux ». Il a confirmé que l’on ne ferait « pas appel de la récente décision de la Cour supérieure du Québec ».

Dans le camp conservateur, le porte-parole Rudy Husny a soutenu que la position du chef Scheer « [aurait été] de faire appel », ajoutant que « cette décision est pour le gouvernement actuel », en raison du délai inhérent aux procédures judiciaires.

« La loi qui a été adoptée prévoit qu’elle doit être revue en 2021 et nous respectons la loi », a-t-il expliqué à La Presse, sans vouloir préciser ce qu’un gouvernement Scheer entendrait faire à ce moment-là.

Leur avis sur les annonces récentes

Le Dr Alain Naud, médecin et professeur

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Le Dr Alain Naud

Le Dr Alain Naud, médecin en soins palliatifs et professeur à l’Université Laval, souhaite que Québec révise d’autres articles de sa loi. « Il n’y a plus de raison pour que les maisons de soins palliatifs soient exemptées de l’obligation d’offrir ce soin de fin de vie [comme c’est le cas actuellement], d’autant qu’elles sont financées en partie par l’État », indique le médecin qui applaudit la décision de Québec de ne pas interjeter appel. Le Dr Naud souhaite aussi que Québec examine de plus près les cas d’AMM refusés, retirés et non administrés. « On sait que des patients retirent leur demande après avoir subi de la pression de proches, et parfois même de médecins, souligne-t-il. Les dérapages potentiels sont dans ces cas refusés, retirés ou non administrés, mais actuellement, ils passent sous le radar. »

Véronique Hivon, députée du Parti québécois

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Véronique Hivon

La marraine de la loi sur les soins de fin de vie, la péquiste Véronique Hivon, a salué la décision du gouvernement Legault. « C’est réjouissant de voir qu’on va avancer tout le monde ensemble et que la décision du gouvernement fait en sorte qu’il va y avoir plus dignité, plus de compassion, plus de solidarité pour les personnes qui sont gravement malades, qui sont souffrantes, qui ont des conditions très, très dramatiques », a-t-elle affirmé.

Le professeur Daniel Weinstock

PHOTO FOURNIE PAR LA FACULTÉ DE DROIT DE L’UNIVERSITÉ MCGILL

Daniel Weinstock, professeur à la faculté de droit de l’Université McGill

Daniel Weinstock, professeur à la faculté de droit de l’Université McGill, voit dans la volonté d’Andrew Scheer de s’en remettre à la justice une façon de « ménager la chèvre et le chou » pour le leader des troupes conservatrices, dont certaines franges sont hostiles à l’aide médicale à mourir. « D’un côté, il dit à sa base qui craint un élargissement de la loi : “Ne vous en faites pas, on ne va pas lâcher le dossier”, tout en disant à ceux qui y sont plutôt favorables : “Ce n’est pas que nous sommes pour ou contre, c’est simplement que nous voulons que le processus judiciaire se rende jusqu’au bout” », suggère-t-il. Il estime qu’il a toujours été « implicite » que l’accès prévu par la loi irait en s’élargissant. Et si un gouvernement tentait de restreindre l’accès en 2021, l’arrêt Carter et la décision Baudouin, notamment, feraient jurisprudence, note le professeur à l’Institut de recherche sur les politiques sociales et de santé.