Souffrant de maux de tête récurrents, Geneviève Charland, 31 ans, a tenté d'apaiser sa douleur par la médication, sans succès. L'an dernier, son médecin de famille lui a prescrit un scanner (un examen d'imagerie médicale). « J'espérais trouver enfin la raison de mes maux de tête, j'étais impatiente de savoir. » Le résultat s'est révélé négatif.

Depuis l'arrivée en masse des tomodensitomètres (scanners) dans les hôpitaux québécois, vers 2000, le recours au radiodiagnostic est devenu pratique courante, et ce, même en première ligne. Le nombre d'examens a grimpé en flèche. Au total, 1 163 705 examens ont été réalisés durant l'année 2014-2015 sur les 144 appareils du secteur public. C'est 142 examens par 1000 habitants. Dans certains établissements, la liste d'attente s'étire sur plusieurs mois. Les examens les plus prescrits ? Scans de la tête, du thorax, de l'abdomen et du pelvis.

« Plusieurs raisons peuvent expliquer cette augmentation du nombre d'examens : le vieillissement de la population, l'augmentation démographique, les nouveaux champs d'application, les effectifs médicaux et, peut-être, la tendance de certains médecins à l'utiliser davantage », indique Noémie Vanheuverzwijn, porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux.

« On n'y échappe pas, l'augmentation du nombre d'examens en tomodensitométrie est une tendance mondiale, indique Danielle Boué, présidente de l'Ordre des technologues en imagerie médicale, en radio-oncologie et en électrophysiologie médicale du Québec (OTIMROEPMQ). Le scan est devenu un outil accessible, rapide d'utilisation parce que très puissant. Il est donc très sollicité. » Trop sollicité ? C'est ce qu'avancent de nombreux experts, qui sonnent l'alarme.

Trop d'examens inappropriés

Selon l'Agence canadienne des médicaments et de la santé, de 10 à 20 % des examens de tomodensitométrie prescrits sont inappropriés au pays. À l'Association médicale du Québec, on parle de 15 à 35 % d'examens évitables. Selon diverses études internationales, cette proportion grimpe parfois à 50 %.

« Cette surutilisation du scan est d'autant plus préoccupante que cette technologie est associée à une augmentation du risque de cancer. Pourtant, dans la pratique, il semble y avoir une banalisation des risques », note Victoria Doudenkova, candidate au doctorat en bioéthique à l'École de santé publique de l'Université de Montréal. Elle a consacré son mémoire de maîtrise à la surutilisation de l'imagerie médicale. 

« Même si des progrès ont été faits pour réduire les doses et optimiser les techniques, il faut se questionner sur la pertinence de ces examens et sur la notion de consentement en radiologie, qui est à ce jour inexistante. »

Pourtant, la tomodensitométrie est la technologie d'imagerie médicale la plus irradiante pour le patient : un scan de l'abdomen équivaut à 400 radiographies des poumons ou 4,5 ans d'exposition au rayonnement naturel. Selon le National Cancer Institute, chaque scan est associé à une augmentation du risque de cancer de 1 sur 2000. Certaines recherches (sur des animaux) suggèrent que des mutations génétiques induites par le rayonnement pourraient être transmises de génération en génération.

S'il est connu que le rayonnement ionisant peut endommager les cellules vivantes, ses effets (stochastiques) à faibles doses restent controversés, puisqu'ils ont été estimés à partir d'études sur les survivants d'Hiroshima ou de Tchernobyl. Selon la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), il est néanmoins admis qu'aucune dose n'est inoffensive. On préconise donc l'application du principe ALARA (as low as reasonably achievable).

« Le risque demeure minime pour un examen, mais il augmente avec le cumul des doses. La radiation est absorbée par les tissus mous et ne s'élimine jamais. C'est ce qui est inquiétant, affirme la Dre Yun Jen, présidente de l'Association médicale du Québec. L'irradiation vient aujourd'hui de toutes parts : la radiographie panoramique chez le dentiste, l'imagerie dynamique chez le chiropraticien, le contrôle à l'aéroport... » À cela s'ajoute le risque de surdiagnostic, qui déclenche des investigations non nécessaires et allonge les listes d'attente.

« Il y a une liste de pratiques à cesser en imagerie », avance la Dre Jen. Dans le cadre de sa participation à la campagne de sensibilisation Choisir avec soin, l'Association canadienne des radiologistes recommande d'ailleurs d'éviter l'imagerie (en l'absence de signaux d'alarme) pour une lombalgie, un traumatisme crânien mineur, un mal de tête ou pour évaluer une appendicite chez l'enfant (avant l'échographie).

Pas de lignes directrices au Québec

Malgré le recours grandissant à la tomodensitométrie depuis 15 ans et les risques soulevés, « le MSSS n'a toujours pas de lignes directrices quant à la pertinence des examens d'imagerie médicale », a noté la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, dans son rapport sur l'optimisation des ressources publié le 27 novembre 2015.

« Le MSSS et les établissements vérifiés ont accompli peu d'actions au regard de la pertinence des examens en imagerie médicale. Ces actions pourraient limiter la prescription d'examens inutiles et encourager la prescription des bons examens », note Mme Leclerc. Dans les établissements vérifiés, « les pratiques liées à l'évaluation de la pertinence des demandes d'examens sont variables et encore embryonnaires ».

« Quand les médecins demandent un examen, c'est parce qu'ils croient qu'il est indiqué. Nous faisons des efforts afin que les médecins soient toujours au fait des dernières indications », affirme le Dr Louis Godin, directeur général de la Fédération des omnipraticiens du Québec.

Au Collège des médecins, l'augmentation du nombre d'examens de tomodensitométrie n'est pas une préoccupation, nous a-t-on répondu, sans se prononcer sur la question de la pertinence.

L'Institut de cardiologie de Montréal a amorcé une sensibilisation quant à la pertinence des examens et des coûts associés. Un projet d'ordonnances électroniques est prévu ce printemps. « Il a été démontré que la prescription informatisée en imagerie médicale diminue le nombre d'ordonnances. La prescription devient plus réfléchie. Et ça permet un suivi de la pratique », indique le Dr Yves Patenaude, de l'Association des radiologistes du Québec.

Créé en 2009 par le MSSS, le Centre d'expertise clinique en radioprotection (CECR) commencera à documenter la pertinence des examens prescrits au Québec dès le printemps. Ces travaux dureront deux ans. « Avant de s'attaquer à la justification, on devait d'abord procéder à une collecte de données et faire un portrait de la pratique au Québec. Nous pourrons ensuite mieux cibler nos actions », dit Manon Rouleau, directrice par intérim du CECR.

Plus que l'implantation d'un logiciel interactif de prescriptions, Mme Rouleau croit qu'il faut sensibiliser médecins et patients. « Les médecins qui prescrivent doivent être bien informés, demander un examen pour les bonnes raisons et bien connaître leurs options. Le patient doit être en mesure de poser des questions pour bien comprendre les enjeux et les risques de ces examens. »

Nombre de TDM diagnostiques au Québec dans le secteur public

• 2000 : 448 071

• 2005 : 734 911

• 2010 : 982 781

• 2015 : 1 163 705

L'exception pédiatrique

Nombre d'examens de tomodensitométrie (TDM)

• 2005 : 5682

• 2015 : 3944

Contrairement à la tendance générale, le nombre d'examens dans les hôpitaux pédiatriques est en baisse. En 2005, jusqu'à 50 % des petits patients qui se présentaient aux urgences pédiatriques pour un traumatisme crânien mineur passaient un scan. Or, les enfants sont très radiosensibles. « Aujourd'hui, on fait des scans dans moins de 10 % des cas. Bien sûr, si le patient arrive dans un état comateux, on ira de l'avant. Mais ça nous prend une raison majeure, nos critères sont stricts. On a toujours été parmi ceux qui en faisaient le moins et on garde le cap », explique le Dr Benoît Bailey, pédiatre aux urgences du CHU Sainte-Justine. Les appareils y sont calibrés pour les enfants et les protocoles adaptés à la jeune clientèle. Ce qui n'est pas le cas dans les hôpitaux généraux. « Lors de cas délicats, on insiste pour obtenir le transfert du jeune patient et prendre la décision de faire ou pas le scan », dit le Dr Bailey.