Deux heures et 25 minutes. Tel est le temps que l'on attend en moyenne dans les urgences du Québec avant d'être vu pour la première fois par un médecin, selon des données obtenues par La Presse du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Jusqu'à l'an dernier, le ministère de la Santé ne publiait aucune donnée sur le sujet. Il ne dévoilait que la durée moyenne de séjour, c'est-à-dire le nombre d'heures que le patient passe sur une civière aux urgences avant d'obtenir son congé, d'être hospitalisé dans une chambre ou d'être orienté ailleurs.

On sait maintenant que l'attente réelle, depuis la salle d'attente jusqu'à la fin de la trajectoire aux urgences, est de plus de 18 heures en moyenne au Québec.

Objectif

Dans son plan stratégique 2015-2020, le ministère de la Santé aspire à en arriver à 85% de patients vus en moins de deux heures.

Selon les estimations du Ministère, 60,5% des Québécois seraient actuellement vus par un médecin en dessous de ce seuil de deux heures.

Les régions où l'on doit prendre le plus son mal en patience avant de voir un premier médecin? Lanaudière (3h38 d'attente), les Laurentides (3h29 d'attente) et Laval (3h20 d'attente). Montréal en est à 2h06 d'attente, tandis que Chaudière-Appalaches, Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, le Bas-Saint-Laurent et Québec sont déjà sous la barre des 2 heures.

Pour Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé en droit de la santé, ce temps d'attente avant de voir un médecin est crucial. Parce que des délais indus peuvent amener des gens malades à éviter à tout prix d'aller à l'urgence, de crainte de voir leur état se détériorer alors qu'ils sont dans la salle d'attente - voire de mourir, comme c'est déjà arrivé -, mais aussi parce que de laisser notamment attendre aussi longtemps des personnes âgées sur des chaises droites, ça n'a pas de sens, à son avis.

Deux heures et 25 minutes en moyenne, au Québec? Il se montre étonné.

«Ces données du Ministère m'étonnent. En tout cas, moi, je ne connais pas grand monde qui est vu aux urgences dans ce délai.»

Détail particulier, selon les données du ministère de la Santé, les gens les moins malades (ceux qui sont identifiés «priorité 5» au triage) voient un médecin plus rapidement (en 2h17) que ceux un peu moins malades, de priorité 4, qui, eux, attendent en moyenne 3h07.

Améliorer la situation, une fois pour toutes?

Malgré les promesses répétées du gouvernement, les urgences ne vont pas mieux en général. «Dix ans de surplace», titrait La Presse dans son dernier palmarès, en mai.

Ces temps-ci, le Commissaire à la santé et au bien-être, Robert Salois, réunit les gestionnaires des principales urgences du Québec pour qu'ils tentent «de s'entraider et d'échanger leurs recettes gagnantes», explique Élaine Bernier, responsable des communications.

Au ministère de la Santé, en raison d'un changement de sous-ministre, on nous a indiqué qu'il n'était pas possible ces temps-ci de faire une entrevue sur le sujet.

« UNE CULTURE DU BLÂME »

« Au Canada, c'est au Québec que la durée de séjour aux urgences est la plus longue. Pourtant, on n'est pas plus bête ici ! », lance le Dr Marc Afilalo, chef du service des urgences de l'Hôpital général juif.

En 2014, l'Hôpital général juif inaugurait de nouvelles urgences avec, à la clef, une promesse : celle d'être vu par un médecin aux urgences en moins de 20 minutes.

Cela a eu tôt fait de se savoir et l'Hôpital général juif a vite été victime de son succès. « Depuis que nous avons nos nouvelles urgences, nous recevons 35 % plus de patients, affirme le Dr Afilalo. On a même vu un patient partir de Gatineau pour venir chez nous. Si les gens sont à une heure ou deux de route, ils risquent de faire le calcul que ça peut être avantageux, et ça, ce n'est pas bien. »

L'Hôpital général juif se retrouve aujourd'hui avec les urgences les plus occupées de Montréal (outre l'Hôpital de Montréal pour enfants) avec 78 398 patients par année, selon le ministère de la Santé, et 1 h 54 d'attente avant de voir un premier médecin. Malgré l'affluence, il demeure à l'intérieur du délai maximal de deux heures que vise le gouvernement pour cette portion de l'attente.

Pour le Dr Afilalo, il est plus que temps que le gouvernement serre la vis.

Au Québec, « ce qui a cours, c'est la culture du blâme. Tout le monde blâme les autres pour ce qui ne fonctionne pas. Quand un hôpital présente une très mauvaise performance, il trouvera 14 raisons pour se justifier. [...] La culture ne devrait pourtant pas être de justifier la contre-performance ».

Les établissements de santé n'ont pas le droit de faire de déficit, « et le directeur général qui ne respecterait pas cette règle serait mis à la porte. Il faudrait qu'on soit aussi coercitif pour ce qui est de bien soigner les gens ».

En matière de soins, enchaîne le Dr Afilalo, « on a des normes, elles sont superbes », mais « encore faut-il s'assurer qu'on les mette en pratique. [...] Et cela, seul le ministre [de la Santé] peut y voir ».

Pendant ce temps, au CUSM

« C'était écrit dans le ciel que ça boguerait encore », lance pour sa part Jean-Marc Troquet, chef des urgences du CUSM.

Le CUSM n'a que quelques mois. Au ministère de la Santé, lors d'une entrevue informelle, on nous indique que ce qui arrive au CUSM est typique de ce qui arrive quand de nouvelles urgences sont inaugurées : les gens s'y précipitent.

Vrai, dit le Dr Troquet, depuis le déménagement, « le CUSM a vu aux urgences 25 % plus de patients, alors qu'on n'a pas plus de médecins ».

Mais il reste, souligne-t-il, qu'« il manque 20 lits au CUSM. Ça affecte les urgences, mais aussi des chirurgies électives », dit-il, évoquant aussi les délais dans ces interventions d'un jour.

Difficile de connaître l'attente exacte au nouveau CUSM, les données transmises àLa Presse par le ministère de la Santé et des Services sociaux ne permettant pas d'isoler les délais dans la prise en charge médicale depuis le déménagement.

Et le Dr Troquet dit sans détour qu'il n'a pas l'intention de les révéler. 

« On ne veut pas les publiciser parce que si on le fait, on risquerait d'avoir trop de monde. Plus un hôpital est performant, plus les gens veulent y aller et les gains qu'on fait, on les perd sans avoir plus de ressources financières », dit-il.

Le nouveau CUSM a donc moins de lits qu'avant et, aussi gros soit-il, pas plus de médecins aux urgences.

De toute façon, il n'y aurait pas eu plus d'espace pour eux.

On demande naïvement si on n'aurait pas pu construire quelques salles de plus. Mais où mettre ces patients de plus que les médecins additionnels auraient vus ? demande le docteur Troquet. « Chaque espace du nouveau CUSM s'est décidé au millimètre près », rappelle-t-il.

Selon des données du Ministère qui datent du printemps, 1 patient sur 10 partirait des urgences sans avoir été vu. C'est ce qui arrive, conclut le docteur Troquet, « quand un système n'est pas optimal ».