Antidouleurs, calmants, antidépresseurs, somnifères... Votre pharmacie renferme des pilules qui font peut-être de vous le «pusher» de vos enfants. Un adolescent sur huit aurait déjà consommé un médicament d'ordonnance pour se droguer. Dans la plupart des cas, la médication provenait de sa maison. Inquiet de ce fléau grandissant, l'Ordre des pharmaciens lance aujourd'hui une campagne de sensibilisation à l'égard des jeunes et de leurs parents.

Estelle n'a jamais eu de mal à cacher sa consommation de médicaments d'ordonnance à ses parents. «Ils ne se sont jamais doutés de grand-chose, c'est facile de passer à côté de la pharmacie de la salle de bains sans penser à compter les pilules dans les pots pour être sûrs qu'il n'en manque pas», raconte, au bout du fil, la jeune fille de 17 ans à la voix angélique.

Traitée depuis trois mois et demi au centre Portage pour régler ses problèmes d'alcool et de toxicomanie, elle raconte la facilité avec laquelle elle a pu mettre la main sur des médicaments d'ordonnance.

Sa première expérience a été avec du Valium. «C'est des amis qui avaient apporté ça. J'ai découvert que ça m'aidait à faire face au down que j'éprouvais après avoir consommé du speed.»

Une amie qui vole des médicaments dans la pharmacie de sa mère lui fait ensuite découvrir l'OxyContin, un antidouleur dérivé du pavot, de la famille des opiacés, au même titre que la morphine ou l'héroïne.

Estelle a même déjà fait semblant d'avoir des douleurs au dos afin qu'un médecin lui prescrive des pilules. Un jeu d'enfant, explique la jeune femme articulée. «Si je suis capable de le faire, n'importe qui peut y arriver.»

Après une tentative de suicide et une arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies, Estelle a fait son entrée au centre de traitement Portage, qui accompagne les jeunes toxicomanes.

Guillaume Potvin y est intervenant depuis 14 ans. Ce centre de traitement pour les jeunes accueille les cas les plus lourds. Il affirme que 20% des jeunes qu'il suit ont déjà consommé des médicaments d'ordonnance qui ne leur avaient pas été prescrits dans le but de se droguer.

Il pense cependant que la consommation de médicaments d'ordonnance est aussi banalisée chez les jeunes qui n'ont pas de problèmes graves de toxicomanie. «Puisque ce sont des produits légaux, ils ont moins l'impression de commettre un crime lorsqu'ils en consomment», remarque-t-il.

Dangers

C'est à la suite d'une rencontre avec le coroner en chef du Québec, l'été dernier, que la présidente de l'Ordre des pharmaciens, Diane Lamarre, a décidé de faire de l'abus de médicaments d'ordonnance chez les jeunes le thème de la Semaine de la pharmacie, qui débute aujourd'hui.

Lors de cette rencontre, le coroner en chef lui a fait part de sa préoccupation à la suite du décès du jeune Alexandre Lallemant-Capocci, de Longueuil, mort l'an dernier à l'âge de 16 ans, après avoir consommé avec deux autres amis les médicaments appartenant à sa mère emportée par un cancer. Ce dernier a succombé, mais ses deux autres amis s'en sont tiré.

«Lorsqu'on parle d'opioïdes, par exemple, les pilules sont très petites, mais ce sont des produits très puissants et malheureusement les gens ne font pas tous la corrélation», a déclaré Diane Lamarre en entrevue la semaine dernière (avant qu'elle annonce sa candidature pour le Parti québécois).

Un danger mortel

Il n'y a malheureusement pas de statistiques sur l'utilisation de drogues d'ordonnance à des fins récréatives au Québec. Une étude récemment menée en Ontario montre cependant qu'un adolescent sur huit en a déjà consommé pour se droguer. «De ce nombre, 70% d'entre eux avaient pris la drogue à la maison», souligne Mme Lamarre. «Aux États-Unis, quatre ados sur dix pensent qu'un médicament prescrit est plus sécuritaire qu'une drogue illicite», ajoute-t-elle.

C'est pourquoi l'Ordre suggère aux parents et aux grands-parents de toujours garder leurs médicaments sous clé. Lorsque des médicaments ne sont pas nécessaires, on recommande aussi de les rapporter à la pharmacie afin qu'ils soient détruits de façon écologique.

«Les produits pharmaceutiques bénéficient d'une espèce d'aura, car ils sont utilisés pour aider ou guérir les gens. Or, il suffit de ne pas suivre la posologie pour que ça devienne un danger mortel. C'est pourquoi il faut en discuter avec nos jeunes et aussi être très vigilant.»