Économiques, faciles à consommer et à cacher, les drogues de synthèse ont la cote auprès des jeunes et créent de nouveaux toxicomanes parmi des clientèles totalement atypiques. Les saisies mondiales se chiffrent en tonnes de comprimés. Le Canada est une plaque tournante de ce très lucratif trafic. Des superpartys raves où on teste l'ecstasy avant de la consommer aux maisons de banlieue converties en laboratoires clandestins, La Presse vous entraîne sur la route de ces drogues 2.0.

L'homme est arrivé aux urgences de l'hôpital Saint-Luc encadré par des policiers. Il avait fallu six agents pour le maîtriser et le faire monter dans le véhicule. Sa température corporelle s'élevait à 42 degrés Celsius. Il était à ce point trempé de sueur que les ambulanciers croyaient qu'il sortait de la douche.

Les policiers ont été appelés au domicile de cet homme parce qu'il s'était mis à tout casser chez lui. Il était déchaîné.

Diagnostic du Dr Alexandre Larocque, urgentologue au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) et consultant en toxicologie: intoxication aux amphétamines. De tels cas - bien que pas toujours aussi spectaculaires - ne sont pas rares aux urgences des trois hôpitaux du CHUM. «On voit ça tous les jours», résume l'urgentologue.

Les médecins sont un peu démunis devant ces cas d'intoxications aux drogues de synthèse, puisque les nouveaux produits se multiplient. «C'est très difficile pour nous de distinguer un produit d'un autre. On est constamment en retard dans les tests. On met au point un test pour dépister une substance, et ce n'est plus ça qui se vend dans la rue», explique le Dr Larocque.

Cela dit, les signes qu'un patient est intoxiqué par des produits stimulants - amphétamine, méthamphétamine, ecstasy - sont clairs: agitation extrême, hyperthermie, déshydratation, rythme cardiaque élevé, paranoïa.

Les médecins maîtrisent l'agitation - «qui peut être assez spectaculaire», souligne le Dr Larocque - avec des calmants et s'emploient ensuite faire baisser la température corporelle du patient «avec des solutés froids et des matelas réfrigérants». Dans les pires cas, l'intoxication peut mener à la psychose toxique ou carrément à la mort du patient.

Les comprimés mystères

«Les gens disent: moi, je prends du speed. Mais speed, ça ne veut absolument rien dire», observe le caporal Jacques Théberge, de la Gendarmerie royale du Canada.

Car prendre un de ces comprimés, dont on ignore la composition précise, c'est l'équivalent de jouer à la roulette russe. Une étude de Santé Canada, qui date de 2008, l'a démontré noir sur blanc: si vous achetez un comprimé d'ecstasy, vous avez une chance sur deux de tomber sur un comprimé... qui ne contient pas un microgramme d'ecstasy.

L'étude, réalisée sur 365 comprimés saisis partout au Québec, a montré que seulement 22,5% des comprimés vendus comme de l'ecstasy contiennent réellement - et uniquement - du méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA), nom scientifique de l'ecstasy.

Un comprimé sur cinq contient en réalité de la méthamphétamine, un sur vingt des amphétamines et un sur cinq contient bel et bien du MDMA, mais mélangé avec d'autres produits, comme la méthamphétamine ou la kétamine.

«Ainsi, dans près de 80% des cas, l'utilisateur croyant consommer de l'ecstasy consommerait en réalité une autre substance ou un mélange de drogues», affirme l'étude.

«Bref, quand on achète une peanut, on ne sait pas du tout ce qu'il y a là-dedans. On ne sait jamais comment c'est fait ni avec quoi c'est fait», confirme Marie-Ève Morin, médecin spécialiste des toxicomanies.

«Ça trouble beaucoup les jeunes quand on leur dit que l'ecstasy, il y en a de moins en moins dans les comprimés. Quand on leur dit qu'il y a de la méthamphétamine dans leur pilule, ils sont bouleversés. Ils ont peur de ça», dit le caporal Jacques Théberge.

Les effets des produits mélangés ne s'additionnent pas, mais peuvent parfois se multiplier. «Les gens jouent à la roulette russe en prenant plusieurs produits en même temps», estime Paul-André Dubé, expert en toxicologie clinique à l'Institut national de santé publique du Québec. «On met en marché des drogues dont on ne connaît rien des effets sur la santé humaine.».

«Le téléphone voulait me bouffer»

Jean, grand consommateur de drogues de synthèse, a fait une psychose causée par les amphétamines. «J'ai été en position foetale pendant trois jours. J'avais l'impression que le téléphone voulait me bouffer», raconte-t-il.

Et le pire, c'est que ces épisodes psychotiques causés par les amphétamines peuvent se produire à répétition. «Avec les amphétamines, certains patients développent une vulnérabilité à la psychose. Même lorsqu'ils arrêtent de consommer, les hallucinations continuent plusieurs semaines ou même plusieurs mois après l'arrêt de la consommation. La puissance de cette drogue vient vraiment fragiliser le cerveau», dit le psychiatre Didier Jutras-Aswad, qui travaille au CHUM.

Car après l'euphorie des amphétamines vient la pente descendante, qui peut être très, très abrupte. «J'ai vu des gens dormir sans interruption pendant 48 heures après avoir passé plusieurs jours sur les amphétamines», raconte Annie Trudel, infirmière au programme jeunesse de Dollard-Cormier.

«De grands consommateurs d'ecstasy peuvent se retrouver avec un tableau dépressif extrêmement sévère, qui est complètement réfractaire aux médicaments», dit le Dr Jutras-Aswad.

L'un des cas les plus sévères de psychose toxique vus par Mme Trudel est celui d'un homme qui avait pris de grandes quantités de speed combiné à de la cocaïne. «Le down a été tellement fort qu'il avait fait trois tentatives de suicide dans la même nuit. Essayer de se tuer, par trois fois: imaginez sa détresse.»