Chaque jour dans les hôpitaux du Québec, au moins 1000 patients sont cloués inutilement dans des lits de soins de courte durée faute de ressources en hébergement ou à domicile. Les libéraux avaient promis plus de 2 milliards pour y remédier, et déjà mis en place certaines mesures, comme le Programme 68. Mais ce programme, censé être une planche de salut pour les personnes âgées, s'est transformé en véritable enfer pour un homme et sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer. Faute de ressources dans le secteur public, ils se tournent à contrecoeur vers le privé.

La mémoire de Denise Grenon, 82 ans, a beau s'effriter au même rythme qu'un sablier qui se vide, elle sait qu'elle est à l'hôpital depuis trop longtemps. Depuis près de neuf mois, pour être plus précis. Depuis ce fameux jour, explique son fils, Yves Duchêne, où sa mère s'est déchiré la jambe en faisant une mauvaise chute. Et où les médecins lui ont fait 14 points de suture avant de la transférer à l'étage de l'hôpital Santa Cabrini.

Sans la possibilité d'un hébergement permanent dans le secteur public, la famille a cru être au bout de ses peines en se résignant à placer la dame dans un établissement privé, au coût de 1800$ par mois. Mais c'était avant lundi, avant qu'elle tombe de son lit d'hôpital au beau milieu de la nuit et qu'elle se fracture la hanche.

«Tout est à recommencer, lâche M. Duchêne, au chevet de sa mère. On venait d'acheter son lit. On devait aller signer le bail le lendemain de sa chute. On dirait que quelque chose s'est brisé à l'intérieur de moi. Je n'en peux plus. Nous sommes de retour à la case départ.»

Incapable de rester seule

Depuis sa chute en janvier dernier, Mme Grenon a passé de son lit d'hôpital à un centre de réadaptation pour revenir à au moins deux reprises à la case départ: les urgences de l'hôpital Santa Cabrini.

Chaque fois, son fils a tenté par tous les moyens d'empêcher qu'on la renvoie à la maison, mais en vain. Sa mère a droit à des soins à domicile, point final.

«Je leur ai bien expliqué que ma mère n'était pas capable de rester deux minutes sur sa marchette et qu'elle ne faisait pas la différence entre le jour et le soir, raconte M. Duchêne. J'ai demandé au personnel si ce n'était pas dangereux pour elle de vivre seule. Une travailleuse sociale m'a répondu que je n'avais qu'à débrancher la cuisinière pour éviter une brûlure, un accident.»

Les retours forcés à la maison de Mme Grenon étaient de courte durée: quelques jours seulement après la première hospitalisation, elle a contracté une infection. Puis, après sa deuxième hospitalisation, elle s'est réveillée le lendemain avec un abcès dans la bouche. Retour aux urgences, puis dans un lit à l'étage. Durant cette période, la famille avait pourtant obtenu un papier de son médecin, le Dr Gaétan Giguère, que La Presse a pu consulter, confirmant que la dame est atteinte d'alzheimer de «léger à moyen» et qu'elle est «totalement inapte à assurer la protection de sa personne et à exercer ses droits civils».

Malgré un mandat d'inaptitude en main et un diagnostic clair, son fils s'est fait expliquer que l'hôpital devait se soumettre au Programme habitation pour évaluation (PHPE) (ancien Programme 68), qui consiste à placer les malades en transit afin d'évaluer leurs besoins. «Le bouchon a sauté, explique M. Duchêne. Ma mère ne veut plus déménager, déjà que c'est difficile pour elle de ne pas pouvoir rentrer à la maison. Elle veut un endroit stable, un vrai foyer.»

Un nouveau transfert

Le téléphone sonne. C'est un membre de la famille qui prend des nouvelles. Mme Grenon raconte que ça va mal. «J'étais assise dans mon lit en train de jaser avec ma soeur Marguerite quand je suis tombée, dit-elle. C'est certain que je me suis fait mal.»

Le médecin qui fait son tour de garde, le Dr Gaétan Grégoire, explique plutôt que la dame était seule, que la barrière de sécurité de son lit était abaissée et qu'elle «ravaudait dans le couloir» quand elle est tombée entre 1h30 et 3h du matin, selon le rapport d'incident. Elle se fera opérer, mais on ne sait pas encore si elle est apte à recevoir une prothèse, a-t-il expliqué à M. Duchêne en présence de La Presse. Ce qui est clair, c'est qu'elle sera transférée dans un centre de réadaptation, une fois encore.

M. Duchêne en a appelé au commissaire aux plaintes de l'hôpital. Il espère que son cauchemar va réveiller les élus. À la direction de l'hôpital, Rocco Famiglietti a rappelé que Santa Cabrini a été l'un des derniers hôpitaux à adhérer au PHPE, en juillet. «On a 100 lits de soins de longue durée avec 3 lits d'hébergement temporaire, mais il y a une liste d'attente. Et cette liste est gérée par un fichier central de l'agence de santé de Montréal. Le Programme 68 vise, au départ, à éliminer les lits de longue durée dans les hôpitaux», a-t-il rappelé.

Photo fournie par la famille

Denise Grenon