Dans les dernières années, Québec a adopté une série de mesures pour hausser le taux de natalité: garderies à 7$, subventions aux parents, bonification du congé parental, financement de la fécondation in vitro... Ces mesures ont porté leurs fruits. De 72 000 naissances en 2000, on est passé à 88 600 bébés en 2009. Mais alors que des millions sont dépensés dans les initiatives pour encourager la natalité, les ressources pour les soins mère-enfant stagnent.

Par un beau matin du mois d'octobre, La Presse a rencontré la Dre Annie Piché, obstétricienne à la maternité de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR). Elle parvenait mal à cacher sa fatigue: elle avait fait trois accouchements durant la nuit, et quatre autres patientes étaient en attente. «On manque de place, ici. Une patiente est actuellement en travail dans la salle d'attente», a-t-elle soupiré.

Depuis deux ans, la Dre Piché a vu le nombre de naissances augmenter de façon fulgurante à l'HMR. En principe, les huit salles d'accouchement permettent de faire 2300 accouchements par année. Mais dans les faits, il y en a entre 2600 et 2800. «On ne peut plus faire plus si on veut respecter la sécurité des patientes. On est à bout», affirme la chef du programme d'obstétrique à l'HMR, France Choquette.

Parfois, il faut même utiliser la salle d'observation, qui peut recevoir trois patientes, comme salle d'accouchement. «On peut faire jusqu'à trois accouchements par jour dans la salle d'observation. Disons que ça enlève le goût d'accoucher aux autres femmes, raconte la Dre Choquette. On a même déjà dû utiliser le placard! On fait dur...»

Pour permettre aux femmes de mettre leur enfant au monde dans des conditions décentes, l'HMR a demandé l'ajout de deux lits d'accouchement, mais on attend toujours la réponse.

Pour la Dre Piché, le temps presse. «Le gouvernement adopte plein de mesures pour encourager les naissances. Et ça fonctionne! Mais où vont-elles accoucher, toutes ces femmes? On dirait qu'on n'y a pas pensé!»

Des mères en surnombre

Le président de l'Association des obstétriciens-gynécologues du Québec, le Dr Robert Sabbah, le confirme: les services d'obstétrique sont surchargés.

De 2000 à aujourd'hui, le nombre de naissances annuel est passé de 72 000 à 88 600 au Québec. «Mais le nombre de spécialistes n'a pas augmenté, explique le Dr Sabbah. L'âge moyen des gynécologues augmente. Il y en a de moins en moins qui font de l'obstétrique, car c'est trop demandant.»

Le Dr Sabbah ajoute que le nombre de lits et d'infirmières dans les services d'obstétrique est insuffisant. La Presse a pu le constater au cours d'une tournée des 16 principaux services d'obstétrique de la grande région de Montréal.

Au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), on a même fixé un maximum annuel. «Il n'y a pas eu d'augmentation du nombre de naissances ici depuis qu'on a fixé un plafond de 2500 naissances par année, explique la chef du service d'obstétrique, la Dre Marie-Josée Bédard. On a cinq médecins de plus de 75 ans et deux de plus de 70 ans, dont plusieurs ne font plus de suivi de grossesse. On ne pouvait pas en prendre plus.»

Le Dr Sabbah confirme que certains hôpitaux se dotent de quotas afin de pouvoir répondre à la demande et éviter les déficits. «Mais je le regrette», dit-il.

À l'Hôpital général juif, on n'a pas fixé de quota, mais cela n'est pas sans conséquences. «Les hôpitaux ne sont pas récompensés s'ils font plus d'accouchements. On est financé pour un certain nombre de cas et, si on en traite plus, l'hôpital n'est pas payé. Certains établissements préfèrent donc les refuser», explique la Dre Louise Miner, directrice du service d'obstétrique de l'Hôpital général juif depuis 20 ans.

«Le gouvernement a tout fait pour augmenter le taux de natalité, mais il n'y a pas plus de médecins, pas plus d'infirmières et pas plus de salles d'accouchement», déplore-t-elle.

L'Hôpital général juif est situé dans Côte-des-Neiges, l'un des quartiers qui ont enregistré les plus fortes hausses de naissances des dernières années. Ses 10 salles d'accouchement fonctionnent toujours à plein régime. Les 36 chambres post-partum sont aussi occupées en permanence.

À l'hôpital LaSalle, l'adjointe du chef du service d'obstétrique, Renée Bougie, a noté une augmentation globale des accouchements. «Mais on a 50 % moins de personnel et une pénurie de médecins. Le personnel restant est à bout de souffle. On est en projet pour agrandir avec huit lits de plus. Mais en attendant, c'est fou!» dit-elle.

Les banlieues aussi touchées

La pression sur les unités de naissances touche aussi de plein fouet les hôpitaux des banlieues. «On prévoyait 1500 naissances en 2010. Là, on en est à 1900, mais on a le même nombre de chambres», dit Anne-Marie Cartier, directrice du département famille, enfance, jeunesse du CSSS Jardins-Roussillon, où se trouve l'hôpital Anna-Laberge.

Le boom démographique que connaît la région de Repentigny crée aussi une pression sur le service d'obstétrique de l'hôpital Pierre-Le Gardeur. De 1350 accouchements en 2004, on est passé à 2280 actuellement. «On fait 10 accouchements par jour en moyenne. Notre équipe de médecins est complète, heureusement», note Suzanne Racicot, coordonnatrice du regroupement mère-enfant-famille.

Lors de notre passage à l'hôpital de Saint-Jean-sur-Richelieu, les quatre chambres de naissance étaient occupées. La directrice des programmes de chirurgie et de natalité, Julie Goudreau, confirme que les naissances sont en hausse et que son personnel «travaille fort» pour répondre à la demande. «Un nouveau gynécologue viendra s'ajouter à l'équipe en janvier», dit-elle.

«Qu'on fasse plus de bébés, c'est une bonne nouvelle. Mais si j'ai 300 bébés de plus, où vais-je les mettre?» se demande la chef du service d'obstétrique de l'hôpital Sainte-Justine, Diane Francoeur.