Dans un geste rarissime, les regroupements de médecins de famille au Québec s'allient contre le projet d'imposer un ticket modérateur aux malades. Les omnipraticiens demandent au gouvernement de renoncer à «taxer la maladie», une mesure qui, selon eux, équivaut à un pas en arrière de 40 ans, à l'époque où ils se battaient pour obtenir l'universalité des soins via la fameuse carte «soleil».

Tant la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ), que les médecins des CLSC, étudiants compris, bref tout le corps médical de première ligne s'entend pour dire qu'une franchise en santé serait «difficile à gérer», et qu'au bout du compte, il y aurait une augmentation des coûts. Et que le ticket modérateur ne ferait que décourager les plus pauvres qui attendraient que leur état se dégrade avant de consulter.«C'est un pas de plus vers la privatisation», a aussi déploré Pierre J. Durand, doyen de la faculté de médecine de l'Université Laval, appuyé par son collègue de l'Université de Sherbrooke. «Un ticket modérateur n'aurait pour effet que d'obliger les gens à souscrire à une assurance privée.»

«Les gens n'abusent pas du système de santé, ils ne consomment pas pour rien, a pour sa part indiqué Marie-Claude Goulet, présidente de Médecins québécois pour le régime public (MQRP), en point de presse mercredi matin. Qui, de toute façon, a envie d'abuser de 12 heures d'attente à l'urgence? On ne fait pas le choix d'être malade.»

Un débat de santé?

Joint en fin d'après-midi par La Presse, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, s'est montré rassurant en réitérant son intention de ne pas brûler les étapes. «On a l'esprit ouvert, on va avoir des discussions et on va établir les modalités de la mise en place, a-t-il résumé. Les discussions ne se feront pas derrière des portes closes. On va consulter la population québécoise. Et ce que je dis, c'est qu'il n'y aura pas de limitation d'accès aux soins de santé. Et qu'on va tenir compte de la capacité de payer des Québécois.»

À cet égard, le ministre n'écarte pas la possibilité d'exempter les prestataires de l'assurance sociale. Mais, répète-t-il, «les médecins peuvent émettre toutes les hypothèses voulues, il reste que les modalités n'ont pas été établies».

Quant à l'illégalité d'imposer un paiement aux patients en vertu de la loi canadienne sur la santé, le ministre Bolduc dit que «il faudra avoir des discussions avec le fédéral, ça fera partie des modalités.» Le ministre de la Santé espère déposer ses recommandations l'automne prochain, pour une mise en place de la franchise en santé vers 2013-2014.

Deux absents ont brillé par leur absence au front commun des regroupements de médecins: Yves Lamontagne, du Collège des Médecins du Québec, et Gaétan Barrette, de la Fédération des médecins spécialistes (FMSQ). Le docteur Lamontagne a affirmé qu'il n'avait pas reçu l'invitation, mais qu'il se serait joint au regroupement si on lui avait demandé.

«Je suis contre le ticket modérateur, mais il reste qu'il faut qu'on se creuse la tête, qu'on tienne un débat de fond sur le financement de la santé. On ne peut pas financer sur le dos des contribuables, particulièrement sur le dos de la classe moyenne, qui se fait toujours fouiller les poches.»

Le docteur Barrette, de la FMSQ, n'a pas ressenti le besoin de se joindre au front commun parce que l'implantation d'un ticket modérateur est de toute façon «illégale» en vertu de la loi. Selon lui, le gouvernement se sert de ce projet «comme levier afin de négocier les transferts fédéraux, qui viendront à échéance, en 2013 et 2014».

Médicaments génériques

Le Dr Lamontagne et lui s'entendent sur un point: les médicaments génériques. Ils appuient donc dans un sens le projet de loi du député de Québec solidaire, Amir Khadir, de réduire le prix des médicaments génériques, comme en Ontario. Une mesure qui permettra de récupérer quelques centaines de millions, tout au plus, mais qui ne réglera pas le manque à gagner de un milliard par année en santé.