Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, a annoncé jeudi soir qu'il suspendait temporairement le contrat d'installation des compteurs d'eau dans les industries, les commerces et les institutions, qu'il avait octroyé en 2007 au consortium GÉNIeau, codirigé par l'homme d'affaires Tony Accurso et par la firme d'ingénieurs Dessau.

Cette décision est prise à la suite d'une série de révélations. Pressé de questions, l'ancien président du comité exécutif de la Ville de Montréal, Frank Zampino a fini par admettre jeudi dernier qu'il avait voyagé avec M. Accurso sur son luxueux yacht, dans les Antilles, pendant le processus d'octroi du contrat. M. Zampino est maintenant vice-président chez Dessau.

Samedi, La Presse a cité un expert, Jean-Claude Lauret, qui affirmait que la Ville payait 150 millions de dollars de trop pour ce contrat, soit un total de 355 millions. Mardi, l'Agence de revenu du Canada et la GRC ont mené des perquisitions dans des entreprises de Tony Accurso, dans le cadre d'une enquête sur une vaste fraude fiscale.

Jeudi, enfin, La Presse a envoyé un courriel à la Ville de Montréal, comprenant une série de questions très détaillées sur le contrat. Notre courriel rapportait les questionnements de Michel Chevalier, un responsable des compteurs d'eau à la Ville d'Ottawa qui a été consulté par la Ville de Montréal et la firme BPR pour son propre projet de compteurs.

«Au cours des derniers jours, des interrogations ont été soulevées sur ce contrat, a indiqué le maire Gérald Tremblay dans un communiqué. Cet important projet doit se concrétiser sur des bases solides et, par souci de transparence, je tiens à ce que toutes les informations pertinentes soient rendues publiques. C'est pourquoi j'ai demandé la suspension de ce contrat jusqu'à ce que le vérificateur général (de la Ville) rende son rapport.»

Le maire entend présenter une résolution au prochain conseil municipal pour entériner le mandat qu'il a confié au vérificateur général et verra à ce qu'il dispose des ressources financières nécessaires pour mener son mandat à bien, ajoute le communiqué.

Compteurs dans les immeubles ICI

En novembre 2007, la Ville de Montréal a demandé à GÉNIeau d'installer des compteurs dans les immeubles industriels, commerciaux et institutionnels (ICI) et de les doter d'un système de communication capable de transmettre vers un ordinateur central la consommation de chaque immeuble ICI, et cela à toutes les heures. La lecture se fera tous les matins.

Le même système de communication - dit scada - sera installé sur 600 chambres de vannes, dotées de valves de réduction de pression et de débitmètres. Le réseau sera divisé en 75 zones. Ces systèmes permettront de connaître en temps réel le débit dans chaque zone et d'ajuster la pression d'eau selon les besoins.

La Ville de Montréal dépensera 107 millions de dollars (sans les taxes) pour l'installation de 32 000 compteurs d'eau dans les immeubles industriels et commerciaux (ICI), soit 3344$ par compteur. La Ville de Toronto va installer et remplacer 465 000 compteurs pour un prix maximum de 219 millions, soit 471 $ par compteur.

La majorité des compteurs, à Toronto, seront installés dans les résidences, et coûteront donc moins cher que les compteurs pour les immeubles (ICI). L'expert Jean-Claude Lauret estime donc le coût des compteurs ICI à 1000 $, en incluant les systèmes de lecture à distance. «C'est trois fois moins que le prix que s'apprête à payer la Ville de Montréal», dit-il.

La Ville de Montréal dépensera par ailleurs 208 millions (toujours sans les taxes) pour les chambres de vannes, soit 350 000 $ l'unité. Michel Chevalier, responsable des compteurs d'eau à Ottawa, refuse de commenter ces coûts précis, ne connaissant pas en détail tout le projet de la Ville.

Mais il estime que l'achat et l'installation d'une grande chambre de vannes, toute équipée et munie d'un système de communication, revient à environ 160 000 $. M. Chevalier, un expert qui donne des conférences dans des congrès internationaux sur la gestion de l'eau, ne comprend pas pourquoi la Ville équiperait ses 75 zones de 600 grandes chambres de vannes. Une grande chambre par zone suffirait, selon lui.

«Tout le concept de la Ville de Montréal, c'est relativement nouveau dans le monde», a dit M. Chevalier lors d'un entretien avec La Presse. La Ville d'Ottawa est beaucoup plus avancée que la Ville de Montréal dans la détection des fuites. Selon lui, la plupart des grandes villes canadiennes réussissent à détecter les fuites et à améliorer leur réseau avec des systèmes bien moins complexes que celui que la Ville de Montréal s'apprête à mettre en place.

«Moi, honnêtement, je ne suis pas au courant de nulle part au monde qui essaie de faire ce que la Ville de Montréal essaie de faire présentement, a-t-il ajouté. Conceptuellement, d'un point de vue philosophique, c'est bien intéressant, mais de façon pratico-pratique, je trouve ça bien curieux. Et je le leur ai dit, autant à BPR qu'à la Ville de Montréal, quand ils m'ont demandé mon opinion.

«Montréal veut partir d'une ville qui ne fait pas de détection de fuite pour devenir la meilleure ville au monde, avec des systèmes très sophistiqués, qui n'ont jamais été essayés ailleurs. Et on ne parle pas d'un projet pilote, là. Non, c'est le plein déploiement, à la grandeur de la ville. On ne parle pas de mettre l'orteil dans le lac pour connaître la température. On plonge! Go, go, go!»