Des patients suspendus au téléphone, qui veulent savoir quand ils pourront subir un test diagnostique, ou s'ils pourront ou non soigner leur cancer de la thyroïde. Des listes d'attente qui s'allongent. Des hôpitaux qui voient leurs réserves d'isotopes fondre à vue d'oeil.

Et puis, de l'inquiétude. Beaucoup d'inquiétude.

Tel est l'impact de la nouvelle «crise des isotopes», causée par la fermeture du réacteur de Chalk River, il y a deux semaines. S'ils ont réussi à parer au plus urgent, les services de médecine nucléaire font face à des patients de plus en plus nerveux. Et ils ont peu de choses à leur dire pour les rassurer.

«Cette semaine, nous n'avons plus assez d'iode 131 pour soigner les patients atteints de cancer de thyroïde», dénonce le Dr François Lamoureux, président de l'Association des médecins spécialisés en médecine nucléaire du Québec.

Il n'a pas de mots pour qualifier l'attitude du gouvernement fédéral, qui a décidé d'abandonner, il y a un an, le projet de construction de deux nouveaux réacteurs, appelés Maple 1 et Maple 2, pour remplacer le vieil appareil de Chalk River.

«La situation actuelle était prévisible, Ottawa l'a laissée pourrir, il a laissé tomber les malades», accuse-t-il.

Situation «très serrée»

Un tour d'horizon de quelques hôpitaux québécois indique que tous sont affectés par la pénurie. «Cette semaine, notre capacité de production de technétium était à 30%. La semaine dernière, c'était 10%. Et on n'a pas la moindre idée de ce qui nous attend la semaine prochaine», déplore le Dr Jean Guimond, de l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec.

Chaque semaine, l'Institut reçoit des générateurs de molybdène, une substance qui sert à fabriquer le technétium, marqueur nécessaire à des tests de médecine nucléaire.

Ces tests, utilisés entre autres en médecine coronarienne et en oncologie, permettent de décider si un patient a besoin d'un pontage coronarien, par exemple. «Chez nous, tous les cas sont urgents», dit le Dr Guimond, qui voit les réserves de technétium s'épuiser de jour en jour, à mesure que la semaine avance.

«Actuellement, nous fonctionnons avec notre minimum vital, la situation est très inquiétante», dit-il.

L'hôpital Sainte-Justine marche lui aussi sur un fil de fer. «Il y a 15 jours, on recevait encore 70% de notre approvisionnement en technétium. Cette semaine, c'est 20%», dit le Dr Raymond Lambert.

Jusqu'à maintenant, l'hôpital a réussi à «rouler sur la vague», en regroupant les rendez-vous, en réduisant les doses d'isotopes ou en utilisant des substances de remplacement.

Cette semaine, la situation est devenue très, très «serrée», selon le Dr Lambert. Des rendez-vous ont été remis et des examens n'ont été faits qu'à moitié.

Mais le Dr Lambert s'inquiète surtout pour les jours qui viennent. «Est-ce qu'on pourra faire deux examens? Quatre? On ne le sait pas», dit-il.

La situation est un peu meilleure à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui a reçu 50% de ses isotopes. L'hôpital a quand même dû geler ses rendez-vous en médecine nucléaire pour les patients des consultations externes.

Patients en danger

Les hôpitaux déploient les grands moyens pour compenser la pénurie. L'hôpital de Verdun, dont les réserves d'isotopes tomberont à 5% demain, recevra ce week-end un générateur qui devrait lui permettre de renflouer ses stocks. Au Centre hospitalier de l'Université de Montréal, la majorité des patients ont pu subir leurs tests, dit Lucie Dufresne, porte-parole de l'hôpital. «Nous suivons ça de très près, nous devons nous revirer de bord sur un 10 cennes pour organiser les rendez-vous.»

La plupart des hôpitaux s'en tirent en remettant les rendez-vous moins urgents à plus tard, ce qui retarde diagnostic et traitement, signale le Dr Lambert. Des examens pour maux de dos ou arthrose peuvent être reportés. «Mais pour le patient qui éprouve les symptômes, le diagnostic est toujours urgent», dit-il.

La pénurie actuelle met carrément la vie des gens en danger, clame le Dr Pierre Audet-Lapointe, de la Coalition Priorité-Cancer. Le pire, selon lui, c'est que le réacteur de Chalk River, qui fournissait la moitié des isotopes médicaux utilisés dans le monde, était déjà tombé en panne en 2007. «Comment se fait-il qu'Ottawa ne se soit pas réveillé plus tôt?»

Le Dr Jean Guimond, lui, juge qu'Ottawa a eu une «attitude très désinvolte, tant pour les patients canadiens que pour ceux de toute la planète».

«Quand le réacteur de Chalk River est tombé en panne, ça aurait dû déclencher la sonnette d'alarme», s'indigne-t-il.

Le Technétium 99

Le réacteur de Chalk River, en Ontario, fabrique du molybdène, dont on tire le technétium 99, un isotope utilisé en médecine nucléaire.

Ce marqueur est utilisé entre autres pour la détection de cancers, mais aussi pour des tests en cardiologie ou pour l'examen du système osseux.

Il existe d'autres méthodes pour réaliser ces tests. Le thallium, par exemple, est également utilisé en médecine coronarienne, mais il est moins efficace et exige plus de temps. Résultat: les listes d'attente s'allongent.

Un autre isotope produit à Chalk River, l'iode 131, est utilisé pour le traitement du cancer de la thyroïde et l'hyperthyroïdie.