Les experts internationaux consultés par Santé Canada n'ont pas pu s'entendre sur les dangers de l'amiante chrysotile, extraite dans les mines du Québec, mais en sont arrivés à ce consensus: cette variété d'amiante est généralement, sinon toujours contaminée par la trémolite, une autre variété d'amiante très toxique, selon un rapport gardé secret par le gouvernement canadien depuis plus d'un an.

«Le chrysotile renferme généralement un peu de trémolite», souligne la «Déclaration de consensus et la synthèse sur l'amiante chrysotile» rédigées par un comité d'experts réunis à Montréal en 2007 par Santé Canada, et intégrées dans un rapport obtenu par La Presse grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

 

Ce détail a toute son importance lorsqu'on sait que la trémolite est considérée comme le type d'amiante le plus toxique. L'Institut de l'amiante, un organisme de Montréal qui a changé son nom pour «l'Institut du chrysotile», fait valoir que l'amiante chrysotile est sans danger s'il est utilisé correctement. L'amiante chrysotile, encore extrait à Thetford Mines au Québec, est presque entièrement exporté à l'étranger, surtout dans des pays en développement comme l'Inde.

Le gouvernement canadien souhaitait que les experts internationaux confirment l'innocuité de l'amiante chrysotile avant la nouvelle ronde de négociations de la Convention de Rotterdam, qui s'est tenue à Rome l'automne dernier. Les experts n'en sont pas arrivés à cette conclusion, au contraire. Le rapport de Santé Canada n'a pas été utilisé. Il a fallu talonner le ministère en utilisant la Loi sur l'accès à l'information pour l'obtenir.

La Convention de Rotterdam est une convention internationale engagée par le Programme des Nations unies pour l'environnement. Tous les deux ans, les pays membres se réunissent et décident d'ajouter ou non des substances dangereuses à une liste de produits.

La Convention de Rotterdam a déjà décidé d'ajouter quatre variétés d'amiantes dites «amphiboles», dont la trémolite, à la liste des substances dangereuses. Le Canada s'est toujours opposé, avec succès, à l'ajout de l'amiante chrysotile à cette liste, mais il commence à manquer d'arguments.

Ce n'est pas le rapport du comité d'experts qui va lui en donner, affirme Colin L. Soskolne, de l'École de santé publique de l'Université d'Alberta. «Je préférerais errer du côté de la prudence, a-t-il indiqué après avoir pris connaissance du rapport. Si jamais il était démontré scientifiquement que le bannissement de l'amiante sous toutes ses formes est une politique trop prudente, alors cette substance se trouvera encore dans la terre et pourra être extraite dans l'avenir. La précaution est le principe qui doit l'emporter.»

Il est prouvé que l'amiante «bleu», du groupe des amphiboles, est beaucoup plus dangereux que l'amiante «blanc» ou chrysotile, du groupe des serpentines. Les amphiboles, comme la trémolite, sont constitués de fibres longues, qui adhèrent aux parois des poumons. En revanche, des études ont montré que l'amiante chrysotile, constitué de fibres beaucoup plus courtes, finit par être en bonne partie éliminé.

Inévitable trémolite

Santé Canada a demandé aux experts d'évaluer les risques liés à l'exposition au chrysotile sans trémolite, «même s'il est possible qu'un tel minéral n'existe pas à l'état naturel», souligne le rapport. Une des membres du comité, Bice Fubini, de la faculté de pharmacie de l'Université de Turin (Italie), s'est montrée catégorique: «L'idée d'avoir de l'amiante chrysotile pure est une utopie», a-t-elle affirmé. «La trémolite est une amphibole qui n'est pas exploitée en tant que telle, mais qui est présente en étroite association avec le chrysotile; on en trouve ainsi de petites quantités dans le chrysotile commercial», a-t-elle ajouté.

La Déclaration de consensus constate que «les poumons des travailleurs exposés à des fibres de chrysotile contaminées en faible proportion par de la trémolite, une amphibole, contiennent généralement un pourcentage beaucoup plus élevé de trémolite que ce que l'on retrouvait dans l'amiante d'origine». Autrement dit, la trémolite, qui se trouve en petites quantités dans l'amiante chrysotile, se concentre ensuite dans les poumons, n'étant pas éliminée par l'organisme. Sa grande toxicité ne fait aucun doute.

Michel Camus, organisateur de la rencontre pour Santé Canada, a indiqué que «certains géologues de l'Université McGill à Montréal croient que l'on pourrait extraire du chrysotile pur en évitant les filons de trémolite». Jusqu'à ce que de nouvelles techniques soient mises au point, la présence de la trémolite semble donc inévitable.

- Avec la collaboration de William Leclerc