Certains commerces à Montréal en vendent par dizaines, de toutes les couleurs, de tous les prix, ornés des motifs les plus variés. Le foulard. S'il est pour certaines un accessoire de mode, dès qu'on l'associe aux mots «musulman» ou «islamique», soudain, le débat prend feu. La Fédération des femmes du Québec en a fait l'expérience cette semaine. Sa présidente, Michèle Asselin, a accordé des dizaines d'entrevues après que son organisme eut adopté, à la fin de la semaine dernière, une résolution selon laquelle la FFQ s'opposait à l'interdiction du foulard islamique dans les services publics.

La résolution litigieuse a fait couler des litres d'encre et de salive toute la semaine. Mais pourquoi diable avoir soulevé ce débat, qui s'était pratiquement éteint depuis la fin de la commission Bouchard-Taylor ? «Le Conseil du statut de la femme avait pris position sur cette question. Nous devions clarifier notre propre position. Balayez sous le tapis les questions difficiles et elles vont inévitablement ressurgir», dit-elle. Le CSF milite, pour sa part, pour l'interdiction des signes religieux dans la fonction publique.

 

La présidente de la FFQ se défend d'abdiquer dans la défense des droits des musulmanes. «Nous n'abdiquons pas notre solidarité envers les femmes qui vivent dans les pays musulmans. Mais ici, on est au Québec, pas en Iran, explique Mme Asselin. Des femmes d'origine arabo-musulmane qui ne portent pas nécessairement le foulard nous ont expliqué que oui, dans certains cas, c'est un symbole d'oppression, quand les femmes sont obligées de le porter. Mais elles nous ont dit aussi qu'il faut faire attention pour ne pas en faire un symbole d'exclusion.»

Et c'est au nom de cette inclusion dans le marché du travail que la FFQ a adopté cette position. À posteriori, on peut cependant se demander si le débat enflammé de cette semaine n'a pas nui plus qu'aidé. C'est l'avis de Djamila Benhabib, auteure de Ma vie à contre-Coran, elle aussi très sollicitée par la presse, qui a vivement dénoncé ce débat «totalement contre-productif» de la FFQ.

«On a encouragé les préjugés et alimenté les craintes des employeurs face aux musulmans, qui, en majorité, ne réclament aucun accommodement raisonnable, dit Mme Benhabib. Moi, je viens de loin. J'ai vu sombrer un pays que j'aime. Et je ne veux pas que des glissements se produisent dans les sociétés d'accueil.» D'origine algérienne, l'auteure, qui est fonctionnaire fédérale, a été la première à avancer que la FFQ avait été «noyautée» par les groupes de pression islamistes. «Il y avait un nombre important de femmes de différentes organisations, qui ne s'engagent jamais normalement dans les organismes féministes.»

Faux, rétorque Samia Bouzourène, qui a assisté elle aussi à la rencontre. Mme Bouzourène, qui porte elle-même le hijab, est membre du comité de direction de Présence musulmane, l'un des groupes fustigés par Mme Benhabib. «Oui, c'est la première fois que j'assiste à l'assemblée générale de la FFQ. Mais ce sujet nous a interpellées directement. Sur 120 personnes, nous étions tout au plus une dizaine de femmes musulmanes, dont la moitié étaient observatrices et n'avaient donc pas le droit de vote. Nous n'avions aucun poids!»

Mme Bouzourène se définit comme une «féministe islamique». Pour bien des gens, ces deux termes ne vont pas ensemble, lui fait-on observer. «Nous militons pour une relecture des textes fondateurs de l'islam, qui ont fait l'objet au fil des ans d'une lecture biaisée. On ne croit pas qu'il y ait contradiction entre les valeurs de l'islam et les luttes des femmes.»

Samia Bouzourène a vécu le weekend dernier avec énormément d'émotion. «J'avais les larmes aux yeux. J'étais tellement fière de faire partie d'un tel moment de dialogue. On a eu l'impression d'être entendues, sans pour autant que toutes les femmes qui sont là comprennent pourquoi on porte le voile.»