Dans Fire and Ashes, publié cette semaine, Michael Ignatieff revient sur son expérience politique, de la visite de trois émissaires du Parti libéral à Harvard en octobre 2004 jusqu'à la cuisante défaite électorale de sa formation en mai 2011. Celui qui est depuis retourné à l'enseignement espère que les leçons qu'il en a tirées serviront un jour à d'autres, qui pourraient à leur tour être tentés de se lancer dans l'aventure. En voici sept.

1. La politique, on en fait pour les autres

À l'automne 2009, alors que son parti est en chute libre dans les sondages, que le Parti conservateur l'attaque sans relâche et que son caucus est de plus en plus divisé, Michael Ignatieff doit se regarder dans le miroir chaque jour avant la période des questions pour se convaincre de continuer et qu'il est à la hauteur de sa tâche. «Je ne me souvenais plus pourquoi je l'avais souhaité au départ», dit-il. Cette ambivalence est exprimée dès le début du livre, lorsqu'il raconte sa difficulté à exprimer les raisons de son implication politique à des gens d'affaires de Montréal, en 2006. Des milliers de poignées de mains et de kilomètres plus tard, il semble avoir trouvé une réponse, ou à tout le moins un conseil: «Vous ne pouvez pas réussir à moins que les gens qui vous ont élu croient que vous le faites pour eux, dit-il. Si vous ne le faites pas pour eux, vous ne devriez pas être en politique.»

2. Il faut savoir saisir sa chance

Michael Ignatieff revient sur son désaccord avec le projet de coalition entre le Parti libéral et le NPD à l'automne 2008. Il décrit l'idée comme étant «sortie de nulle part», le «coup de théâtre» d'un chef (Stéphane Dion) désespéré et qui tente de s'accrocher au pouvoir. Il raconte qu'il n'a pas été consulté - même s'il était chef adjoint du parti - et qu'il a été forcé de signer l'entente. Une entente qu'il s'est d'ailleurs empressé de désavouer lorsqu'il a pris la tête du parti quelques semaines plus tard. «C'était une coalition de perdants, une entente secrète avec le chef d'un parti séparatiste», a-t-il tranché. Et de conclure: «J'ai rejeté la coalition sans savoir que, ce faisant, je venais d'abandonner mon unique chance de devenir premier ministre de mon pays.»

3. Amitié et ambition ne font pas bon ménage

On connaît l'histoire: Michael Ignatieff et Bob Rae étaient de vieux amis, leurs parents se connaissaient depuis longtemps et ils ont été colocataires à l'université. On savait moins, par contre, à quel point l'ambition des deux hommes a gâché leur relation. Dans un restaurant de Toronto, en 2005, M. Rae a "explosé" lorsque son ami lui a confié son intention de faire une entrée graduelle en politique canadienne, se souvient M. Ignatieff. «On essayait de recoller les morceaux de notre relation et d'au moins projeter l'image d'une équipe de rivaux, explique-t-il. [Mais] trop de choses s'étaient passées entre nous deux pour pouvoir rétablir notre amitié.»

4. Il faut être fait fort pour être politicien

La politique requiert «plus de contrôle de soi, de jugement et de force intérieure» qu'on peut même penser en avoir, écrit l'auteur. Il concède certaines de ces qualités à Stephen Harper, qu'il décrit comme étant «un dominateur naturel», «combatif à l'extrême», au regard froid et "à la ténacité, à la discipline et au caractère impitoyable». Il ne cache toutefois pas son aversion pour son ancien rival: «Il est un opportuniste sans objectif autre que le pouvoir», dit-il.

5. Ne laissez pas votre adversaire vous définir

Il ne devrait pas être permis de diffuser des publicités négatives hors des périodes électorales, estime l'ancien chef libéral. Dès le printemps 2009, le Parti conservateur a payé pour que des publicités martèlent pendant deux ans le message selon lequel Michael Ignatieff ne faisait que visiter le Canada et qu'il n'était revenu que pour servir ses propres intérêts. Le PLC n'avait pas l'argent pour répondre à ces allégations et elles ont eu l'effet d'une bombe sur le parti et sur lui-même, écrit l'auteur. Le premier ministre «a attaqué mon droit de dire quoi que ce soit» et Ignatieff a été incapable de se défendre.

6. La politique est plus un sport qu'une science

Celui qui a écrit et enseigné la politique pendant des décennies la compare maintenant plus à un sport qu'à une science: «Il y a le même travail d'équipe, les mêmes plaisanteries de vestiaire et la même douleur quand vous perdez. Le problème est qu'on désigne la politique comme un jeu, mais ce n'en est pas un. Il n'y a pas d'arbitre et les équipes font les règles au fur et à mesure.» Ailleurs dans le livre, il qualifie les élections de "téléréalité". «J'avais une compréhension trop littérale de tout cela, dit-il amèrement. Je croyais que le contenu comptait.»

7. La défaite a ses avantages

L'ancien chef libéral ne cache pas la douleur qu'il a ressentie après sa défaite: «Je n'avais pas conduit pendant cinq ans, et donc je suis allé renouveler mon permis le lendemain de la défaite, relate-t-il. La photo qu'ils ont prise ce jour-là montre une personne que je ne reconnais presque plus: défait, inconsolable et désespéré. Les yeux - mes yeux - sont vagues.» Mais citant d'autres célèbres perdants de l'histoire politique (Cicéron, Tocqueville et Machiavel, entre autres), il associe à la défaite certains fruits dont celui, chèrement payé, de l'expérience qu'il espère aujourd'hui retransmettre.