En janvier 2013, alors qu'un vent glacial soufflait dehors, Jody Wilson-Raybould était entourée de journalistes nationaux à Ottawa, se posant en conciliatrice parmi des chefs de Premières nations qui cherchaient à obtenir une rencontre avec le gouvernement conservateur de l'époque.

Certains rejetaient l'idée d'une réunion avec le premier ministre Stephen Harper, voulant plutôt s'entretenir directement avec la Couronne ou son représentant au Canada, le gouverneur général David Johnston.

Jody Wilson-Raybould était alors la chef régionale de l'Assemblée des Premières Nations pour la Colombie-Britannique, et elle était sur le point de jeter un pont entre les chefs, puis entre ceux-ci et un gouvernement que beaucoup jugeaient hostile aux questions autochtones.

Lorsque la rencontre avec Stephen Harper a finalement eu lieu, elle a réalisé qu'elle pourrait plus facilement faire avancer les choses de l'intérieur. Elle s'est donc présentée aux élections fédérales de 2015 sous la bannière libérale, remportant une circonscription du centre-ville de Vancouver.

Peu de temps après, le premier ministre Justin Trudeau la nommerait la ministre de la Justice du Canada.

Six ans plus tard, lors d'un autre mois de janvier glacial à Ottawa, Mme Wilson-Raybould se faisait retirer ce portefeuille, l'un des plus importants du cabinet.

Avec l'enthousiasme d'un enfant à qui l'on demande s'excuser pour avoir volé une friandise, elle a prononcé quelques mots convenus, affirmant qu'être transférée du ministère de la Justice vers celui des Anciens combattants ne constituait en aucun cas un revers.

Mais en fait, Jody Wilson-Raybould n'a pas été écartée parce qu'elle était aimée de tous et qu'elle faisait un travail extraordinaire.

Elle était devenue une épine dans le pied du cabinet, une ministre avec laquelle il était difficile de s'entendre et qui, selon certaines sources bien informées, rabaissait ouvertement ses collègues.

Moins d'un mois après sa rétrogradation, Jody Wilson-Raybould se trouve au coeur d'une des plus grosses tourmentes à avoir frappé le gouvernement de Justin Trudeau : des allégations selon lesquelles le premier ministre ou ses collaborateurs auraient fait pression sur elle pour aider le géant québécois SNC-Lavalin à se soustraire à des poursuites pénales. On l'aurait notamment écartée parce qu'elle refusait de coopérer.

Justin Trudeau nie catégoriquement ces allégations.

Plusieurs élus libéraux approchés par La Presse canadienne vendredi ont dit croire que l'affaire avait été divulguée par Jody Wilson-Raybould elle-même.

« Elle a toujours fait les choses pour elle-même en quelque sorte, a confié l'un d'eux. Ce n'était jamais à propos du gouvernement ou du cabinet. Tout tourne autour de Jody. »

La crainte de représailles était si forte vendredi que la plupart des libéraux contactés ont refusé catégoriquement de s'exprimer sur la situation.

La présidente du Conseil du Trésor, Jane Philpott, qui serait l'une des alliés de Mme Wilson-Raybould au sein du cabinet, n'était pas disponible.

Ceux qui ont accepté de se prononcer font état d'une ministre au roulement de personnel effréné (elle a eu quatre chefs de cabinet en trois ans et demi) et qui ne se présentait aux réunions que lorsqu'elle en avait envie.

« Je pense l'avoir vue au caucus autochtone une seule fois », a déclaré une source.

Mais un autre portrait beaucoup plus flatteur émane de l'extérieur du gouvernement : celui d'une femme d'une intelligence et d'une détermination exceptionnelles.

Son père, le chef Bill Wilson, avait un jour dit à Pierre Trudeau, père de Justin, que ses filles allaient devenir premières ministres.

Une source autochtone affirme qu'il est « impossible de parler de Jody sans parler de son père », mais leur relation est toutefois troublée.

Bill Wilson, qui a exprimé son appui à sa fille sur les médias sociaux cette semaine, a contribué à l'enchâssement des titres ancestraux et des droits issus de traités des peuples autochtones dans la Constitution canadienne.

Jody Wilson-Raybould laisse également un legs important en tant que ministre de la Justice. Elle a piloté deux des plus importants changements apportés à la politique sociale canadienne en une génération : l'aide médicale à mourir et la légalisation du cannabis.

« Elle est très sérieuse et très crédible », fait valoir Sheila North, ancienne grande chef de Manitoba Keewatinowi Okimakanak, l'organisation des chefs du nord de la province.

Elle était une procureure de la Couronne sûre d'elle, souligne Mme North, et toute critique de sa fermeté prend racine dans le sexisme.

« Quelqu'un qui est très solide et confiant, quand il s'agit d'un homme, ce n'est même pas considéré comme quelque chose de négatif », a-t-elle dénoncé.