(Ottawa) Ils sont octogénaires et siègent toujours à la Chambre des communes. « Des jeunes, j’en ai essoufflé », rigole l’un. « Je brasse encore la cage », assure l’autre : le bloquiste Louis Plamondon et la libérale Hedy Fry ont conservé le feu sacré, et le débat sur la prétendue date de péremption des politiciens qui fait rage aux États-Unis ne les fait pas vaciller.

« On peut avoir 80 ans et être jeune. On peut avoir 20 ans et être vieux », affirme Louis Plamondon, plébiscité sans interruption dans sa circonscription depuis 1984. « Quand je me suis présenté la première fois, à 41 ans, les gens me disaient : “Il me semble que tu es un peu jeune” », rigole l’actuel doyen de la Chambre des communes.

« Tout repose sur la capacité physique et mentale. Ce qui compense quand tu as 80 ans comme moi, par rapport à quelqu’un de 30 ans qui peut paraître plus dynamique, c’est l’expérience », enchaîne celui qui a bien l’intention d’être sur la ligne de départ lors du prochain scrutin fédéral.

Sa collègue Hedy Fry, 82 ans, de la Colombie-Britannique, compte elle aussi se présenter à nouveau. « Quand Jean Chrétien m’a approchée en 1992, j’ai longtemps hésité. Pour me convaincre, il m’a dit : “Que vas-tu faire sinon, du jardinage ?” Je n’en avais aucune envie à cette époque, et c’est la même chose aujourd’hui », lance-t-elle.

« J’adore ce que je fais », s’exclame la médecin, tombeuse de Kim Campbell (en 1993).

Il n’existe pas de limite d’âge pour siéger à la Chambre des communes. En revanche, il y en a une pour les postes nominatifs : les juges de la Cour suprême du Canada ainsi que les juges nommés par le fédéral doivent obligatoirement accrocher leur toge à 75 ans. Il en va de même pour les sénateurs – et c’est très bien ainsi, selon le libéral Serge Joyal.

« Il y a un bien-fondé à mettre un âge limite », fait valoir l’ancien membre de la Chambre haute, qui a pris sa retraite obligatoire en février 2020. Toujours actif dans les affaires publiques, il souligne néanmoins que depuis l’entrée en vigueur de cette règle, en 1965, l’espérance de vie et les conditions de vie ne sont plus les mêmes.

Réforme souhaitée mais compliquée

Au sud de la frontière, on peut siéger jusqu’à ce que mort s’ensuive, à la Cour suprême comme au Congrès – les sénateurs y sont cependant élus, et non pas nommés comme au Canada. On a vu des sénateurs comme Diane Feinstein (qui s’est éteinte à 90 ans en 2023) s’accrocher, et Mitch McConnell, qui ne se représentera pas comme leader républicain au Sénat, avoir des absences.

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Le sénateur républicain Mitch McConnell

« Du point de vue du droit, il n’y a pas de limite d’âge aux États-Unis, et même s’il y avait une aspiration d’en imposer une, ce n’est pas demain la veille qu’on pourra changer ça, parce que ça prendrait un amendement à la Constitution », explique Julien Tourreille, de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.

Les impacts de l’absence d’une limite d’âge se font davantage sentir au pays de Joe Biden que chez Justin Trudeau, relève sa collègue Valérie Beaudoin. « La mort de Ruth Bader Ginsburg [juge de la Cour suprême, disparue en 2020], par exemple, a tout changé dans le débat sur l’avortement », souligne la chercheuse associée à la même chaire.

Une vaste majorité de la population américaine souhaiterait que les règles du jeu soient modifiées : selon une étude publiée il y a quelques mois par le Pew Research Center, 79 % sont favorables à l’imposition d’un âge obligatoire pour la retraite dans le cas des élus à Washington, et 74 % en ce qui a trait aux juges de la Cour suprême1.

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Le président des États-Unis, Joe Biden

Le débat sur l’âge est plus dommageable pour le président sortant, Joe Biden, 81 ans, que pour son rival républicain Donald Trump – qui, à 77 ans, n’est pourtant pas non plus une petite jeunesse.

Il y a eu les pertes d’équilibre, les erreurs factuelles, les difficultés à s’exprimer. Chaque petite gaffe est analysée.

Valérie Beaudoin, chercheuse associée à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand

Le danger, même s’il est normal que « l’état de santé » du démocrate et « sa capacité à assumer la fonction » suscite des inquiétudes légitimes, c’est que l’enjeu occulte tout le reste, renchérit Julien Tourreille. « Mais manifestement, il est capable, Joe Biden, d’être président », argue le chercheur en résidence.

« Ça ne me touche pas pantoute »

C’est ce que croit aussi Louis Plamondon. « Quand on analyse ses quatre ans de mandat, l’économie va extraordinairement mieux, les relations internationales sont redevenues plus saines que sous Donald Trump, et il a bien combattu la COVID-19, alors que l’autre disait de boire de l’eau de Javel », analyse-t-il.

Et puis de toute manière, « l’âgisme est présent partout dans le sport, les arts », et cela a « a toujours existé », philosophe le député de Bécancour–Nicolet–Saurel « Il faut vivre avec ça. Moi, ça ne me touche pas pantoute. Ça file bien, j’aime ça, je continue », conclut l’élu.

De là à dire que c’est acceptable et qu’on peut se permettre de généraliser, il y a un pas, prévient Hedy Fry. « C’est un stéréotype, un motif de discrimination. On suggère que tous ceux qui sont dans la même catégorie sont pareils, et c’est faux ! », lance la députée de Vancouver-Centre avec verve.

Le jardinage n’intéresse toujours pas Hedy Fry.

Au besoin, elle va chez le fleuriste.

1. Consultez l’étude du Pew Research Center (en anglais)