(Ottawa) Parce que « les profits ne devraient pas primer sur la sécurité », le gouvernement fédéral veut serrer la vis aux plateformes de réseaux sociaux et aux sites pornographiques, en particulier pour protéger les enfants des méfaits en ligne. À peine son projet de loi C-63 déposé, le ministre de la Justice, Arif Virani, voit tout de même déjà se profiler à l’horizon une avalanche de critiques.

Le ministre Virani a enfin déposé lundi le projet de loi C-63 sur les préjudices en ligne, qui se faisait attendre depuis des années, et qui promet d’alimenter les débats à la Chambre des communes au cours des prochaines semaines et des prochains mois.

« À l’heure actuelle, il est trop facile pour les compagnies de réseaux sociaux de détourner le regard alors que la haine et l’exploitation prolifèrent sur leurs plateformes. Ce projet de loi les obligera à faire leur part et à protéger les gens des méfaits et de l’exploitation », a-t-il déclaré en conférence de presse au parlement.

« Si elles échouent à le faire, il y aura un prix significatif à payer », a tranché le ministre.

En vertu de la mesure législative, les sites devront « réduire l’exposition au contenu préjudiciable », et auront donc l’obligation de retirer rapidement deux catégories de contenu : la « victimisation sexuelle d’enfants ou perpétuant la victimisation de survivants » et le « contenu intime communiqué de façon non consensuelle ».

24 heures pour procéder au retrait

Les signalements viendraient d’utilisateurs, directement sur le service en ligne, ou encore par le dépôt d’une plainte auprès de la Commission de la sécurité numérique qui serait mise sur pied grâce au projet de loi. Les entreprises auraient 24 heures au maximum pour retirer ce type de contenu.

Les sites pornographiques comme Pornhub, où ce type de contenu pullule, ne seraient pas contraints de vérifier l’âge des internautes pour empêcher l’accès aux mineurs, tel que le propose le projet de loi S-210 de la sénatrice Julie Miville-Dechêne.

Les services en ligne devront, en revanche, implanter des « protections spéciales pour enfants ». Dans son document d’information, le gouvernement cite l’établissement de paramètres de recherche sécurisée pour les enfants, ou encore la désactivation automatique de certaines fonctionnalités comme les caméras web.

Les plateformes délinquantes s’exposent à des amendes salées, pouvant atteindre « le montant le plus élevé entre celui égal à 6 % [de leurs] revenus bruts globaux » et 10 millions de dollars. La détermination du montant dépend notamment de la nature et de la portée de la violation ou des antécédents du site suspecté.

Nouvelles entités

Le processus réglementaire permettra de clarifier un grand nombre d’aspects découlant de ce projet de loi.

Parmi le bouquet de mesures contenues dans le projet de loi C-63 figure la création de nouvelles entités, soit la Commission de la sécurité numérique, composée de cinq membres nommés par le gouvernement, ainsi que l’Ombudsman de la sécurité numérique.

Les fonctionnaires du gouvernement n’ont pas été en mesure de préciser le budget rattaché à la mise sur pied de ces nouvelles entités lors de la séance d’information technique qui a été organisée pour les représentants des médias, lundi.

Contenu haineux : nouvelles infractions

Le ministre de la Justice veut aussi créer une nouvelle infraction pour crime haineux au Code criminel. Celle-ci s’appliquerait à toutes les infractions prévues dans le Code criminel, lit-on dans la trousse d’information du gouvernement.

Il propose également d’augmenter les peines maximales pour les quatre délits de propagande haineuse. La peine pour l’apologie du génocide, par exemple, passerait de cinq ans à la prison à vie, tandis que celle pour d’autres délits liés à la haine pourrait atteindre cinq ans au lieu de deux.

Les services de messagerie privée et cryptée sont exclus du projet de loi C-63.

« L’argent et l’influence »

Une première mouture avait été déposée par les libéraux le 23 juin 2021, au dernier jour des travaux avant le congé d’été, mais elle était morte au feuilleton. Sa portée était plus large, et les conservateurs avaient mis en garde contre les risques de censure.

« Je tiens à préciser ce que le projet de loi ne fait pas : il ne brime pas la liberté d’expression. Il renforce la liberté d’expression en permettant à toutes les personnes de participer en toute sécurité aux débats en ligne », a argué le ministre Virani.

« Nous savons que des organisations et des individus puissants vont probablement s’empresser de critiquer le projet de loi. Des gens qui ont de l’argent et de l’influence. Mon message à ces organisations et à ces gens est très simple : il est temps de travailler directement avec nous », a-t-il enchaîné.

Le député néo-démocrate Peter Julian a signalé que son parti avait l’intention de présenter des amendements au projet de loi gouvernemental, notamment en ce qui a trait aux algorithmes, auxquels C-63 ne s’attaque pas suffisamment, selon lui.

Le Parti conservateur n’a pas commenté.

Meta, en froid avec Ottawa en raison de l’adoption du projet de loi C-18 sur les nouvelles en ligne, a affiché une ouverture. « Nous nous réjouissons de collaborer avec les législateurs et nos homologues de l’industrie sur notre priorité de longue date qui est d’assurer la sécurité des Canadiens », a déclaré un porte-parole.

Le contenu préjudiciable se décline en sept catégories :

  • le contenu représentant de la victimisation sexuelle d’enfants ou perpétuant la victimisation de survivants ;
  • le contenu visant à intimider un enfant ;
  • le contenu poussant un enfant à se porter préjudice ;
  • le contenu incitant à l’extrémisme violent ou au terrorisme ;
  • le contenu incitant à la violence ;
  • le contenu fomentant la haine ;
  • le contenu intime communiqué de façon non consensuelle, y compris les hypertrucages.