L’Assemblée nationale a adopté jeudi une motion à l’unanimité dénonçant la censure contre Myriam Daguzan Bernier et Elise Gravel, deux autrices québécoises qui ont respectivement vu leurs livres brûlés et retirés d’une bibliothèque.

Proposée par le député solidaire de Jean-Lesage, Sol Zanetti, ladite motion s’inquiète entre autres « des récents épisodes de censure visant des livres jeunesse québécois » et réaffirme le soutien des élus québécois « aux écrivaines québécoises Elise Gravel et Myriam Daguzan Bernier, ainsi qu’à l’illustratrice Cécile Gariépy, dont les livres ont été récemment la cible de censure ».

« Que l’Assemblée nationale réitère son adhésion à la liberté d’opinion, à la liberté d’expression et à la libre circulation des idées », énumère aussi le texte législatif, qui a reçu l’appui des 106 députés présents qui se sont exprimés par vote électronique.

Le premier incident est survenu mardi, lorsque la candidate républicaine au poste de secrétaire d’État du Missouri, Valentina Gomez, a suscité la controverse après avoir brûlé au lance-flammes un exemplaire de Naked, traduction anglaise de Tout nu !, un livre québécois jeunesse traitant de questions liées à la sexualité.

Tout nu ! a été publié en mars 2019 chez Cardinal. L’ouvrage, conçu comme un dictionnaire sur la sexualité, s’adresse aux jeunes et aux adolescents. Au Québec, l’œuvre écrite par Myriam Daguzan Bernier et illustrée par Cécile Gariépy a remporté le Prix du livre jeunesse des Bibliothèques de Montréal en 2020.

« Il fallait qu’on réitère le consensus québécois contre cette dérive conservatrice qu’on voit aux États-Unis. On ne peut pas juste la laisser aller sans rien dire, parce que sinon, cette forme d’ignorance et de violence, ça pourrait se répandre », a expliqué jeudi le député Sol Zanetti, après l’adoption de sa motion, en évoquant « une menace à la démocratie ».

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Le député Sol Zanetti

Ceux qui ont brûlé des livres dans l’histoire ont fait énormément de mal et de morts. Ce ne sont pas des symboles à prendre à la légère. Des livres, c’est fait pour allumer des débats, pas des feux.

Sol Zanetti, député solidaire de Jean-Lesage

L’autrice Myriam Daguzan Bernier, elle, n’a pas caché qu’elle était estomaquée par cette affaire. « Ça me fait vraiment peur, parce qu’il n’y a aucune intelligence derrière ça. C’est justement que de la peur. Ça ne peut pas donner de bons résultats, tout ça », a-t-elle confié. Elle dit surtout être bouleversée par le fait que les jeunes membres de la communauté LGBTQ+ « vont probablement voir cette vidéo ».

La liberté d’expression en jeu ?

On apprenait par ailleurs jeudi, dans un texte du chroniqueur de La Presse Marc Cassivi, que la Bibliothèque publique juive de Montréal (BPJ) venait de mettre Une patate à vélo ainsi qu’une trentaine de livres de l’autrice à succès Elise Gravel à l’index. Il s’agirait d’une décision de son nouveau directeur général, Alain Dancyger, qui fut à la tête des Grands Ballets Canadiens (GBC) pendant 22 ans.

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Le directeur général de la Bibliothèque publique juive de Montréal, Alain Dancyger

Mme Gravel dénonce régulièrement sur les réseaux sociaux la situation dans la bande Gaza et la mort de milliers d’enfants palestiniens, souvent par des croquis. Certains l’ont accusée d’antisémitisme au cours des derniers mois, ce que l’autrice condamne.

« C’est un peu si on disait aux auteurs : “Faites attention à ce que vous dites politiquement, parce qu’on pourrait retirer les livres non pas pour leur contenu, mais pour vos positions.” La liberté d’expression, après ça, elle va vraiment être atteinte si on tolère ça », estime à ce sujet M. Zanetti, qui espère voir la bibliothèque revenir sur sa décision.

Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, a aussi déploré les deux évènements. « Mettre des livres à l’index, là, je pense que ça fait un peu vieux curé des années 1900, on est ailleurs », a-t-il lâché en mêlée de presse à l’Assemblée nationale. « Brûler des livres, là, un moment donné, on est en 2024. »

Située dans le quartier Côte-des-Neiges, la BPJ, elle, affirme que l’ensemble des œuvres de l’autrice « sera toujours accessible, sur demande ». « Cette approche reflète notre engagement à répondre aux différentes préoccupations et sensibilités de la collectivité tout en permettant l’accès à une diversité de perspectives », a dit une porte-parole dans un communiqué. Le directeur général, Alain Dancyger, n’a toutefois pas répondu à notre demande d’entrevue.

Avec La Presse Canadienne