(Québec) Le gouvernement Legault étudie sérieusement l’idée d’imposer de nouvelles exigences linguistiques aux immigrants temporaires, comme les travailleurs et les étudiants étrangers, pour éviter que leur nombre croissant contribue à l’anglicisation du Québec. Une rencontre à ce sujet est même prévue avec Ottawa.

« On est en train de regarder de quelles manières on pourrait intervenir [pour] faire en sorte que l’immigration temporaire soit aidante pour le fait français », a dit la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, en entrevue avec La Presse, lundi, alors que commencent ce mardi les consultations publiques sur la planification de l’immigration permanente au Québec pour la période 2024-2027.

« Est-ce qu’il y a des connaissances en français qu’il serait souhaitable d’avoir quand on est immigrant temporaire ? Ça fait partie des choses qu’on regarde », a-t-elle ajouté. En fin d’après-midi, lundi, le premier ministre François Legault a également publié une photo à son bureau, avec la ministre, où il affirmait « discuter des moyens additionnels pour arrêter le déclin du français au Québec ».

Dans son premier rapport déposé au Salon bleu, en juin, le nouveau commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, affirmait que l’explosion du nombre d’immigrants temporaires au Québec entraînait des « répercussions importantes » sur la situation du français.

« Il y a 10 ans, il y avait 100 000 résidents non permanents au Québec. Ils sont maintenant 346 000 présents sur le territoire, soit près de 4 % de la population », s’inquiétait-il dans le contexte où « le français est moins présent et l’anglais l’est davantage chez les résidents non permanents ». Mme Fréchette évalue pour sa part qu’il y a 334 000 immigrants temporaires dans la province.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil

On peut penser que [la] forte présence de l’anglais comme langue utilisée le plus souvent au travail chez les résidents non permanents entraîne déjà des répercussions importantes sur la situation du français au Québec.

Benoît Dubreuil, commissaire à la langue française

Au cours des prochains jours, la ministre de l’Immigration tiendra une première rencontre de travail avec son homologue fédéral, Marc Miller, dans le contexte où plusieurs programmes liés à l’immigration temporaire sont cogérés entre Québec et Ottawa.

Trois semaines d’échanges

Les consultations qui s’ouvrent ce mardi au Parlement pour fixer le nombre de nouveaux arrivants que le Québec va accueillir d’ici 2027 toucheront toutefois aux seuils proposés pour l’immigration permanente, c’est-à-dire les travailleurs étrangers qualifiés, les regroupements familiaux et les demandeurs d’asile. Christine Fréchette a devant elle 77 mémoires, soit près du double de ce qui avait été reçu lors du dernier exercice, en 2019.

Au printemps dernier, Québec a causé la surprise en proposant deux scénarios. L’un d’eux, qui est désormais privilégié par le gouvernement, propose de hausser le seuil annuel à plus de 60 000 immigrants d’ici 2027. À ce nombre s’ajoutent les étudiants étrangers essentiellement diplômés des cégeps et universités francophones qui postuleront à une nouvelle version du Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Cela pourrait faire passer le nombre d’immigrants permanents à près de 70 000 par année.

L’autre scénario reprend intégralement la promesse faite en campagne électorale par François Legault, en maintenant le seuil annuel à 50 000 immigrants permanents. Le premier ministre affirmait alors que l’augmenter davantage serait une option « suicidaire » pour le français.

« Université en francisation »

Or, Christine Fréchette affirme que les nouvelles orientations linguistiques du gouvernement, qui imposent une connaissance intermédiaire du français aux immigrants économiques, changent la donne. Elle souligne également le succès « phénoménal » du nouveau guichet unique d’inscription aux cours de français pour les immigrants, Francisation Québec, qui intéresse par ailleurs une part croissante de travailleurs étrangers temporaires.

« Pour le premier trimestre de 2023-2024 (1er avril au 30 juin 2023), ce sont déjà 30 266 personnes immigrantes qui ont participé ou qui participent aux cours à temps complet, à temps partiel et à la Francisation en ligne. Il s’agit d’une hausse majeure de 45,9 % par rapport à la même période en 2022-2023 », a souligné le cabinet de Mme Fréchette.

Avec tous les changements […] qu’on a mis en place, on a fait comprendre que pour nous, le français est le fer de lance de nos réformes en matière d’immigration permanente. Les gens ont capté le message et ils prennent action.

Christine Fréchette, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration

De plus, entre le 1er juin et le 29 août, Francisation Québec a reçu 33 480 nouvelles demandes. En juin dernier, Christine Fréchette a pris l’engagement que la demande d’une personne qui s’inscrit au guichet unique de francisation soit traitée dans un délai de 50 jours ouvrables dans 80 % des cas. Selon elle, le délai moyen était de 38 jours en date du 31 juillet dernier.

« On a reçu 33 480 nouvelles demandes. Regardez ce chiffre-là et je pourrais vous dire qu’on pourrait le comparer à une université en termes de nombre de personnes qui prennent des cours. […] On est en train ni plus ni moins de mettre en place l’équivalent d’une université en francisation. C’est phénoménal », a-t-elle affirmé.

Le PLQ veut revoir la capacité d’accueil

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Le député libéral Monsef Derraji

Le Parti libéral du Québec (PLQ) demande au gouvernement de mesurer la réelle capacité d’accueil du Québec en immigration. Une façon d’y parvenir serait de créer une table interministérielle ou intersectorielle qui réunirait à la fois Québec, des experts et des représentants des municipalités. Selon le député Monsef Derraji, « si la consultation ne traite pas de la capacité d’accueil », alors que la pénurie de logements, les délais d’attente en santé ou la pénurie d’enseignants qualifiés font rage, « on passe à côté de quelque chose d’extrêmement important ». Lorsque le Québec fait des missions à l’étranger pour recruter des immigrants, « on leur vend un rêve, mais des gens [arrivent ici] et nous quittent déçus » de l’accueil qui leur est réservé, déplore-t-il.

Un volet « régions » réclamé par QS

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Le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard

Québec solidaire (QS) demande l’ajout d’un volet « régions » au Programme de l’expérience québécoise (PEQ), considéré comme une voie d’accès rapide à l’immigration permanente. Selon le député Guillaume Cliche-Rivard, il faut donner des incitatifs à la fois financiers (en éliminant les frais de traitement des dossiers) et de temps (en diminuant les délais de traitement) pour les travailleurs « qui s’établissent en région et qui y cumulent 12 mois d’emploi avec une preuve d’intention d’y demeurer ». Par ailleurs, M. Cliche-Rivard dénonce qu’augmenter la part des travailleurs étrangers qualifiés dans l’immigration permanente tout en maintenant les seuils actuels de réfugiés et de regroupements familiaux fera exploser les délais d’attente de ces deux dernières catégories.

Le PQ demande un seuil plus bas

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Le député péquiste Pascal Bérubé

Sur la scène politique à Québec, le Parti québécois (PQ) est la seule formation politique qui demande au gouvernement de réduire le nombre d’immigrants permanents accueillis chaque année. « Notre capacité d’accueil est largement dépassée, [ce qui a] un impact sur le logement, sur l’accès aux services sociaux et sur le français », souligne le député péquiste Pascal Bérubé. Lors de la dernière campagne électorale, le PQ proposait d’établir à 35 000 le nombre annuel d’immigrants permanents. M. Bérubé dénonce également que le gouvernement mène des consultations sur ses seuils alors que le nombre d’immigrants temporaires (travailleurs étrangers temporaires et étudiants) a significativement augmenté ces dernières années.

Plus de marge de manœuvre, dit le patronat

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Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) s’inquiète que le gouvernement entende obliger les immigrants permanents à connaître le français avant d’arriver dans la province.

Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) s’inquiète que le gouvernement entende obliger les immigrants permanents à connaître le français avant d’arriver dans la province. Selon Denis Hamel, vice-président du CPQ, cette nouveauté aurait pour effet d’exiger une maîtrise du français « très avancée », tellement que « nous, comme peuple francophone étant né ici, avons de la misère à l’atteindre ». À ce sujet, le patronat demande au gouvernement de se donner une marge de manœuvre pour ne pas perdre des travailleurs étrangers qualifiés dont la maîtrise du français serait insuffisante à l’accueil, mais qui pourraient être francisés. Par ailleurs, Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ) estime que le gouvernement devrait augmenter son seuil annuel d’immigration à 90 000.

Moins d’obstacles, demandent les syndicats

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Dans une lettre publiée dans La Presse, la CSN, la CSQ, la FTQ et la CSD demandent à Québec de travailler avec Ottawa pour réduire les « obstacles d’accès à la résidence permanente » rencontrés par nombre de travailleurs migrants temporaires.

Les principaux leaders syndicaux somment le gouvernement Legault de réduire son recours à l’immigration temporaire, qui a augmenté ces dernières années, et qui « tend à créer des citoyens et des salariés de seconde classe ». Dans une lettre publiée dans La Presse, la CSN, la CSQ, la FTQ et la CSD demandent à Québec de travailler avec Ottawa pour réduire les « obstacles d’accès à la résidence permanente » rencontrés par nombre de travailleurs migrants temporaires, alors que « la majorité de ces personnes » ont des emplois « très exigeants et difficiles, avec peu ou pas de protection de leurs droits au travail, et dans des conditions rendant impossible l’accès à un statut permanent ».

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