(Ottawa) Le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), David Vigneault, a recommandé au premier ministre Justin Trudeau de déclarer l’état d’urgence, même s’il estimait que les convois de camions à Ottawa et ailleurs au pays ne constituaient pas une menace à la sécurité nationale.

Cette déclaration étonnante se trouve dans l’un des comptes-rendus présentés en preuve à la Commission sur l’état d’urgence lundi, lors du témoignage de M. Vigneault. Il s’agit d’une déclaration de témoin donnée à huis clos par le directeur du SCRS aux avocats de la Commission.

D’une part, le SCRS estimait que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence risquait « d’enflammer » davantage certains groupes ou individus extrémistes anti-gouvernement. De l’autre, il a recommandé au gouvernement le 13 février de déclarer l’état d’urgence lors d’une réunion du Groupe d’intervention en cas d’incident, soit la cellule de crise du gouvernement. Le premier ministre Justin Trudeau annonçait le recours à cette législation d’exception pour la première fois depuis son entrée en vigueur en 1988 le lendemain après-midi.

Le SCRS surveillait alors certains individus qui participaient au « convoi de la liberté » et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays, mais il ne considérait pas ces manifestations dans leur ensemble comme une menace à la sécurité nationale. Ces individus étaient déjà sur le radar des services de renseignement avant ces manifestations et étaient considérés comme des personnes extrémistes qui pouvaient potentiellement utiliser de la violence pour avancer leur idéologie. Le directeur du SCRS n’a pas indiqué combien d’individus étaient surveillés.

La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité énonce un certain nombre de critères pour évaluer une menace à la sécurité nationale. Parmi ceux-ci, l’espionnage et le sabotage, l’ingérence étrangère, l’usage de la violence grave et des activités qui visent à renverser le gouvernement.

Cette même définition est reprise dans la Loi sur les mesures d’urgence, mais M. Vigneault est venu à la conclusion qu’elle pouvait être interprétée de façon plus large. « C’est le nœud du problème », a-t-il répondu à l’avocat de la Commission, Gordon Cameron.

Il a expliqué qu’on l’avait assuré que « les mêmes mots » peuvent être interprétés différemment d’une loi à l’autre en vertu « des avis légaux, de la jurisprudence et des jugements de la Cour fédérale ».

En contre-interrogatoire avec l’Association canadienne des libertés civiles, il a indiqué qu’il avait été conseillé par le ministère de la Justice. Il a reconnu que le seuil pour déclencher une enquête du SCRS sur une personne devait être élevé, mais n’a pas voulu se prononcer sur le seuil qui devrait être requis pour justifier le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

L’avocat qui représente les organisateurs du « convoi de la liberté » a insinué en contre-interrogatoire que le gouvernement avait déjà décidé qu’il allait dépeindre les manifestants comme étant violents la veille de leur arrivée à Ottawa. Il a également insinué que des drapeaux nazis ou confédérés avaient été plantés dans la manifestation par les autorités.