(Ottawa) Quatre jours avant le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, le premier ministre Justin Trudeau a dit à son homologue de l’Ontario, Doug Ford, qu’il n’avait pas besoin d’outils légaux supplémentaires pour mettre fin au blocage du pont Ambassador à Windsor. Le compte-rendu d’une conversation téléphonique entre eux laisse entrevoir un fort sentiment d’urgence pour mettre fin à ce blocage.

Chasser les manifestants qui bloquaient le pont Ambassador à Windsor était rapidement devenu une priorité pour les autorités vu son importance économique. « Je vais être dans leur cul avec une brosse métallique », a répondu le premier ministre ontarien à Justin Trudeau qui le pressait de questions sur le plan de la Police provinciale de l’Ontario (PPO). Le compte-rendu de leur discussion tenue le 9 février a été déposé en preuve lors de la Commission sur l’état d’urgence mardi.

Un convoi de camions long de trois kilomètres bloquait depuis trois jours le pont qui relie la ville ontarienne de Windsor à celle de Detroit aux États-Unis. Il s’agit d’une infrastructure critique pour le commerce entre les deux pays, notamment pour l’industrie automobile nord-américaine. Dépassée par l’ampleur des évènements, la police locale avait demandé l’aide de la PPO.

« Ça nous coûte 500-600 millions d’échanges commerciaux et nous atteindrons 3,1 milliards dès demain », a affirmé M. Ford. Il cherche alors des moyens légaux pour donner « plus d’outils » à la police parce qu’elle est « un peu timide ». « Je ne peux pas leur donner d’ordre », a-t-il rappelé à plusieurs reprises.

« Vous ne devriez pas avoir besoin d’autres outils – des outils légaux, a rétorqué Justin Trudeau. Ils barricadent l’économie ontarienne et font des millions de dollars de dommages quotidiennement et nuisent à la vie des autres. »

Quatre jours plus tard, le gouvernement fédéral avait recours à la Loi sur les mesures d’urgence pour la première fois depuis son adoption en 1988. L’impact économique de la fermeture du pont Ambassador a été cité à plusieurs reprises comme justification même si une opération policière a mis fin au blocage avant l’entrée en vigueur des nouveaux pouvoirs octroyés avec cette législation comme celui de réquisitionner des remorqueuses.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Dana Earley, superintendante de la Police provinciale de l’Ontario chargée de l’opération policière

M. Trudeau met ensuite en doute l’intelligence des manifestants qui « font mal à l’économie et ramènent des emplois aux États-Unis ». Le jour même, Elissa Slotkin, une élue démocrate du Michigan publiait une série de gazouillis sur Twitter pour réclamer le retour d’entreprises manufacturières aux États-Unis. La Maison-Blanche avait également indiqué « surveiller de près » la situation au pont Ambassador par lequel transige 25 % du commerce transfrontalier.

Plus tard dans la conversation, Justin Trudeau demande à Doug Ford s’il a une idée du plan de la PPO pour chasser les manifestants. « Ils ne peuvent pas en discuter pendant trois semaines, ils doivent agir immédiatement », a affirmé le premier ministre du Canada.

La superintendante de la PPO chargée de l’opération policière, Dana Earley, a témoigné mardi que la situation Windsor était une priorité. Elle a affirmé n’avoir subi aucune ingérence politique dans le cadre de son affectation. Les forces de l’ordre ont fini par dégager les camions dans la nuit du 13 au 14 février, avant le recours par le gouvernement fédéral à la Loi sur les mesures d’urgence le même jour.

Le « convoi de la liberté » paralysait alors toujours les rues du centre-ville d’Ottawa, et ce, depuis près de trois semaines. Lors de son entretien avec Justin Trudeau, le premier ministre Ford semblait alors faire peu de cas de la situation dans la capitale fédérale, accusant au passage l’ex-chef de la police d’Ottawa, Peter Sloly, et le maire Jim Watson de l’avoir « mal gérée ». Il dit que M. Sloly a perdu le contrôle de ses troupes.

Paul Leschied, un manifestant qui a participé au blocage du pont Ambassador a reconnu mardi qu’il s’agissait d’un « endroit stratégique » et que l’économie canadienne serait affectée. « C’est certainement un endroit qui permet d’attirer l’attention pour se faire entendre », a-t-il dit lors de son témoignage.

La Commission sur l’état d’urgence menée par le juge franco-ontarien Paul Rouleau doit déterminer si le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement fédéral était justifié pour mettre fin au « convoi de la liberté » à Ottawa et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays. Ses audiences se poursuivent jusqu’au 25 novembre.