(Ottawa) Les menaces contre les élus se multiplient à un rythme inquiétant au pays. De nouvelles mesures sont requises pour assurer leur sécurité, affirme sans détour le ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino.

Ayant lui-même fait l’objet de menaces de mort après avoir déposé le projet de loi C-21 décrétant un gel national des armes de poing, il y a trois semaines, M. Mendicino n’écarte pas l’idée d’instaurer à Ottawa des mesures de sécurité semblables à celles qui existent depuis des années à Québec, où les ministres sont accompagnés par un chauffeur armé agissant comme garde du corps.

Revenant sur de récentes menaces visant le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, à Peterborough, en Ontario, le premier ministre Justin Trudeau à Surrey, en Colombie-Britannique, et la députée du NPD de Vancouver-Est, Jenny Kwan, M. Mendicino a soutenu que la sécurité des élus s’est dégradée au cours des dernières années.

La situation est très, très sérieuse. La sécurité des députés, des ministres, de tous ceux qui travaillent dans la sphère politique s’est beaucoup détériorée au cours des dernières années. La pandémie a exacerbé le problème. La rhétorique extrémiste s’est répandue sur les médias sociaux. Donc, il faut agir.

Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique

Les mesures de sécurité ont été resserrées autour de M. Mendicino et de sa famille à la suite des menaces de mort dont ils ont été la cible.

Un pas dans la bonne direction

Il y a 18 mois, le Bureau de la régie interne — un comité où les représentants de chacune des formations politiques reconnues aux Communes discutent du fonctionnement de la Chambre — a décidé d’augmenter les mesures de sécurité offertes aux élus.

Ainsi, les députés peuvent obtenir des caméras de surveillance à leur domicile ou une protection policière. Tous les députés ont reçu un avertisseur individuel mobile qui, une fois activé, permet d’alerter un centre de surveillance tiers.

Récemment, la Gendarmerie royale du Canada a créé une équipe de liaison ministérielle qui a pour rôle de communiquer avec les ministres et leur cabinet afin de voir s’ils ont des problèmes ou des préoccupations en matière de sécurité.

À Ottawa, seul le premier ministre a droit à des gardes du corps. Les ministres et les chefs de parti ne bénéficient d’aucune protection particulière.

De passage à Peterborough, en mai, Jagmeet Singh a été pourchassé et copieusement insulté par des individus. « C’était le moment le plus tendu de ma vie politique », avait-il confié à La Presse quelques jours plus tard.

Également le mois dernier, Justin Trudeau a été contraint d’annuler sa présence à un dîner de financement de son parti à Surrey après que des manifestants eurent lancé des insultes raciales aux participants, principalement d’origine sud-asiatique, qui entraient dans le centre de congrès de la municipalité.

À la lumière des récents évènements, d’autres mesures s’avèrent nécessaires, selon le ministre Mendicino. Entre autres choses, il a affirmé qu’il pourrait s’inspirer de ce que fait le Québec pour assurer la sécurité des ministres. « Je pense que c’est une bonne mesure. C’est une solution qui pourrait être envisagée. Toutes les options sont sur la table. Il faut regarder ce que font les autres gouvernements pour assurer la sécurité des députés et des ministres », a-t-il souligné.

« La situation est urgente. Il est aussi très inquiétant de voir que ce sont les femmes et les personnes issues de minorités qui font l’objet de plus d’attaques. C’est devenu toxique », a-t-il avancé.

« On est rendus là »

Le consultant en sécurité Michel Juneau-Katsuya partage la même lecture. « On est vraiment dans un pays qui est en train de se métamorphoser, et où la droite alternative prend de plus en plus de place », soutient-il en entrevue.

Indépendamment de la caste politique à laquelle tu appartiens, tu es un symbole. Que tu sois NPD, conservateur ou libéral, tu es un symbole de l’attaque qu’on veut faire contre le gouvernement central.

Michel Juneau-Katsuya, consultant en sécurité

Et selon lui, il ne fait aucun doute que le fédéral doit adopter le modèle québécois, car « on est rendus là ». Les « faits » sont là : des élus ont été harcelés, intimidés, bousculés, relève l’ancien cadre du Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS).

« Le premier ministre s’est fait lancer de la gravelle [pendant la campagne électorale] », s’exclame-t-il. « Pour l’instant, ça n’a peut-être pas l’air trop grave, mais il ne faut pas attendre qu’un incident grave se produise avant d’agir », ajoute M. Juneau-Katsuya.

Il est « impossible au gouvernement canadien de protéger tous les élus » et « impossible aussi de protéger tous les bureaux de circonscription », mais la protection des ministres, elle, « doit être encore plus importante qu’avant », estime l’expert.