(PRINCE ALBERT, Saskatchewan) La maison à deux étages d’inspiration Tudor est à l’image de l’homme qui l’a habitée : modeste à l’extérieur, élégante à l’intérieur.

La petite demeure est sise au 246, 19Rue Ouest à Prince Albert, ville de quelque 37 000 habitants du nord de la Saskatchewan. Elle appartenait autrefois à John G. Diefenbaker, le 13e premier ministre du Canada, qui a dirigé le pays de 1957 à 1963.

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John G. Diefenbaker, en 1962

Transformée en petit musée en 1983, cette maison raconte l’histoire d’un ancien premier ministre qui a su, contre vents et marées, se hisser premier parmi ses pairs. Elle abrite des meubles, des accessoires et des effets personnels de John G. Diefenbaker, notamment un bureau qui a servi dans ses locaux de campagne à Prince Albert, des photos de l’ancien premier ministre rencontrant les grands de ce monde, des coupures de journaux, des cannes à pêche — c’était un grand amateur de sorties de pêche — et sa toge d’avocat du temps qu’il pratiquait le droit, avant de faire le saut en politique en 1940. Hormis la cuisine, la maison est aménagée de la même manière qu’à l’époque où il y vivait avec sa femme, de 1947 à 1957.

Aujourd’hui, John G. Diefenbaker demeure un homme politique peu connu du grand public, surtout à l’extérieur de cette province de l’Ouest. D’autant que les grands livres d’histoire du pays sont dominés par les œuvres marquantes et les décisions déterminantes des John A. Macdonald, Wilfrid Laurier, Mackenzie King, Lester B. Pearson, ou encore celles des successeurs plus récents que sont Brian Mulroney et Jean Chrétien.

« Bien vivant »

Mais « Dief the Chief », comme l’appellent affectueusement maints Saskatchewanais encore aujourd’hui, est un homme adulé à Prince Albert, où une statue en son honneur a été érigée devant l’hôtel de ville. Une école locale porte son nom, tout comme le pont du centre-ville qui enjambe la rivière Saskatchewan Nord. L’aéroport international de Saskatoon a aussi été renommé en l’honneur de l’ancien premier ministre.

« S’il était candidat aux élections de l’automne, il passerait comme une lettre à la poste. C’était tout un premier ministre et un leader politique. C’est sûr que je voterais pour lui », affirme d’un trait Leo Gignac, fermier à la retraite, alors qu’il attend patiemment son petit-déjeuner au restaurant local.

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Leo Gignac, fermier à la retraite

« John Diefenbaker avait une mémoire phénoménale. Il te rencontrait pour la première fois un jour et se souvenait de ton nom quand il te revoyait cinq ou six ans plus tard, même si tu avais une moustache », souligne John Konias, fermier de 77 ans, qui sirote son café au même restaurant et qui a rencontré l’illustre politicien lorsqu’il était jeune.

« Il a quand même fait une grave erreur en annulant le développement et la production de l’avion Avro Arrow », nuance pour sa part Edwin Podhorodeski, fermier plus jeune qui se joint à la conversation matinale.

« Je dis souvent que le fantôme de Diefenbaker est bien vivant ici. Chaque fois que je rencontre des personnes âgées, elles me parlent encore des belles années de Diefenbaker », raconte à son tour le député conservateur de Prince Albert, Randy Hoback, visiblement fier de représenter depuis 2008 la même circonscription que l’ancien premier ministre.

Avant-gardiste

Alors qu’il conduit son pick-up sur lequel une photo grand format de lui est déjà collée en prévision de la prochaine campagne électorale, Randy Hoback énumère en rafale les principales réalisations de « Dief the Chief » : il a nommé la toute première femme, Ellen Louks Fairclough, à un poste de ministre au sein d’un cabinet fédéral dans l’histoire du pays en 1957. Il a nommé le premier sénateur autochtone. En mars 1960, John Diefenbaker a étendu le droit de vote à tous les Autochtones, hommes et femmes, sans exception. Et en août de la même année, son gouvernement a fait adopter à la Chambre des communes la Déclaration canadienne des droits, qui jetait les bases de la Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 1982 par Pierre Trudeau.

« Je suis un Canadien, un Canadien libre, libre de m’exprimer sans crainte, libre de servir Dieu comme je l’entends, libre d’appuyer les idées qui me semblent justes, libre de m’opposer à ce qui me semble injuste, libre de choisir les dirigeants de mon pays. Ce patrimoine de liberté, je m’engage à le sauvegarder pour moi-même et pour toute l’humanité », déclarait John Diefenbaker durant un débat aux Communes sur l’adoption de cette déclaration le 1er juillet 1960.

Ces paroles se retrouvent au bas de la page sur laquelle est reproduite la Loi mettant en œuvre la Déclaration canadienne des droits et la signature de l’ancien premier ministre. Le document est remis aux visiteurs du musée.

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Dans la maison de John G. Diefenbaker, on aperçoit un gilet d’une équipe de hockey de Prince Albert portant le nom de l’ancien premier ministre.

Selon Randy Hoback, John G. Diefenbaker fut un leader avant-gardiste. L’actuel premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a certes nommé un premier cabinet paritaire hommes-femmes de l’histoire en 2015. M. Trudeau a aussi fait de la réconciliation avec les Premières Nations une priorité de son premier mandat. Mais « Dief » avait déjà jeté les premières bases, d’une certaine manière.

Tout ce qu’il a accompli durant sa carrière politique est très impressionnant. Il était un homme qui était en avance sur son époque sur les questions d’égalité et de droits de la personne. Il a commencé tout cela.

Randy Hoback, député conservateur de Prince Albert

« J’aime beaucoup l’histoire. Et quand on regarde l’histoire de Diefenbaker, on constate qu’il était un homme tenace avant de finalement remporter son premier siège à la Chambre des communes et aussi la direction du Parti progressiste-conservateur. Il a représenté Prince Albert jusqu’à sa mort en 1979. Je me rappelle encore quand il est venu à mon école alors que j’avais 5 ans. Il y avait un gros buzz autour de lui », raconte le député Hoback.

« Il écrivait ses discours sur des serviettes de table. Ça rendait ses adjoints fous. Il était un peu comme Donald Trump. On ne savait jamais ce qu’il allait dire. Mais la grande différence entre les deux, c’est que Diefenbaker a fait de grandes choses », lance en riant le député conservateur.

Trois premiers ministres

M. Hoback aime bien rappeler à La Presse que sa circonscription de Prince Albert a vu passer trois premiers ministres : Wilfrid Laurier, Mackenzie King et, bien sûr, John Diefenbaker. Wilfrid Laurier n’a finalement jamais représenté les citoyens de Prince Albert parce qu’il était candidat dans deux circonscriptions, Prince Albert et Québec-Est. À l’époque, il était permis d’être candidat dans plus d’une circonscription à la fois. Il a finalement jeté son dévolu sur la circonscription de Québec-Est.

Dans le cas de Mackenzie King, il a décidé de briguer les suffrages lors d’une élection partielle dans Prince Albert en 1926. Il voulait ainsi augmenter le nombre d’élus libéraux dans les provinces de l’Ouest. Il a représenté cette circonscription jusqu’en 1945, année où il a été défait par un candidat du CCF. Il a par la suite battu en retraite en Ontario, où il a pu se faire élire lors d’une élection partielle dans Glengarry alors qu’il était toujours premier ministre du Canada.

À Prince Albert, beaucoup se frottent les mains à l’idée qu’un autre leader de la Saskatchewan, le chef du Parti conservateur Andrew Scheer, puisse devenir premier ministre du Canada s’il remporte les élections fédérales du 21 octobre, près de 60 ans après la première victoire de John Diefenbaker. M. Scheer, qui représente la circonscription de Regina–Qu’Appelle à la Chambre des communes depuis 2004, est un grand admirateur de l’ancien premier ministre. En juillet, il s’est d’ailleurs rendu à Prince Albert afin de visiter son ancienne demeure devenue musée.

Compte-t-il faire preuve d’une combativité comparable à celle de « Dief the Chief » durant la campagne électorale qui l’opposera notamment à Justin Trudeau ? Les gens de Prince Albert le souhaitent. Ils auront la réponse à cette question d’ici quelques semaines.