(Ottawa ) La ligne nationale de prévention du suicide, le 988, promet d’être achalandée dès la date prévue de son lancement, en novembre, et le volume bondira au cours des cinq années suivantes. Ces projections basées sur l’expérience américaine, où le 988 a été composé 5 millions de fois en un an, incluent le Québec, où la ligne est jugée redondante.

Ce qu’il faut savoir

La ligne nationale de prévention du suicide, le 988, doit entrer en vigueur au Canada le 30 novembre 2023.

À la lumière notamment du succès de cette ligne aux États-Unis, on s’attend à ce qu’elle soit achalandée dès son lancement.

Au Québec, des intervenants craignent un « dédoublement » avec la ligne 1 866 APPELLE.

De 100 000 appels en 2023-2024 à 326 000 en 2027 dans un scénario de demande faible, et de 161 000 appels en 2023 à 581 000 en 2027 dans un scénario de demande élevée : le rapport produit par la firme PricewaterhouseCoopers (PwC), obtenu par La Presse grâce à la Loi sur l’accès à l’information, laisse présager un succès qu’il faudra gérer.

« Compte tenu de ces projections, les représentants du secteur des lignes de détresse s’inquiètent de la faisabilité d’un lancement le 30 novembre prochain en l’absence de capacités et de formation adéquates », lit-on dans le résumé du document préparé à l’intention de la ministre de la Santé mentale et des Dépendances, Carolyn Bennett.

En ce moment, tous les centres de détresse […] peinent à répondre à la demande – par exemple, en août 2022, le taux de réponse de Talk Suicide Canada […] était de 57 %. Par conséquent, les lignes de détresse recommandent un lancement modeste [soft launch], à l’image de l’approche aux États-Unis.

Extrait du document préparé à l’intention de la ministre Carolyn Bennett

Le numéro étant national, le gouvernement fédéral consulte « les provinces et les territoires afin de comprendre leurs besoins, alors que plusieurs tentent de déterminer comment se préparer au 988 », y ajoute-t-on.

Le Québec sceptique

Ottawa trouvera sur sa route le gouvernement du Québec. À l’Agence de la santé publique du Canada, qui vante le numéro « facilement reconnaissable », le gouvernement québécois répond que la ligne 1 866 APPELLE jouit déjà d’une notoriété appréciable, comme le site suicide.ca.

Une rencontre entre la ministre Carolyn Bennett et son homologue québécois, le ministre des Services sociaux, Lionel Carmant, doit avoir lieu au cours des prochaines semaines – et il est déjà prévu que le dossier de la ligne 988 sera à l’ordre du jour, affirme Lambert Drainville, porte-parole de M. Carmant.

La ligne 1 866 APPELLE est bien connue des Québécois, elle fonctionne bien, et on ne souhaite pas de dédoublement. On veut savoir comment [la ministre Bennett] voit ça, et si elle est au courant de ce qui se fait déjà ici et qui fonctionne.

Lambert Drainville, porte-parole du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant

Directrice générale du Regroupement des centres de prévention du suicide du Québec, Claudia Charron partage cette analyse : « On ne voit pas la pertinence d’avoir la ligne 988, considérant qu’on répond déjà aux besoins populationnels et qu’on a une très belle expertise en matière de prévention du suicide au Québec. »

Le fait que les appels en provenance du Québec seront « automatiquement redirigés à 1 866 APPELLE pour de l’assistance en français », comme l’a signalé dans une lettre au CRTC le président de l’Agence de la santé publique du Canada, Harpreet Kochhar, ne la rassure pas nécessairement.

« Un appel en prévention de suicide qu’on échappe, ça peut avoir des répercussions très importantes », s’inquiète Mme Charron.

Si, par exemple, l’appel était mal redirigé, ce qui est « une possibilité dans les débuts », et qu’il échouait « dans une province à une personne qui est bilingue, qui ne connaît pas les particularités provinciales », l’aide ne serait peut-être pas optimale, illustre-t-elle.

En août dernier, le président-directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide, Jérôme Gaudreault, estimait au contraire que le 988 pouvait « faciliter l’accès aux ressources aux personnes qui sont vulnérables ou en crise suicidaire ». À condition, disait-il cependant, qu’il y ait suffisamment de personnel.

Un succès aux États-Unis

Au sud de la frontière, on a soufflé la première bougie de la ligne 988 le 16 juillet dernier. Le numéro à trois chiffres est venu se substituer au 1-800-273-TALK. « C’est l’initiative la plus transformatrice en santé comportementale que j’ai vue de ma carrière », a récemment affirmé à CNN Monica Johnson, directrice du bureau de coordination du programme 988.

L’idée derrière ce programme, que l’administration Biden a financé à hauteur de presque 1 milliard, était évidemment de simplifier le numéro à retenir. L’objectif est le même au Canada, où le budget pour le projet principalement administré par le Centre de toxicomanie et de santé mentale est de 158 millions sur trois ans, selon le budget de 2023.

Que ce soit au téléphone ou par message texte – pour les textos, le volume serait d’environ 22 000 en 2023 et de 75 000 en 2027 –, on s’attend à ce que la majorité des demandes « soit désamorcée par les intervenants », avec « moins de 2 % nécessitant l’intervention d’urgence de premiers répondants », lit-on dans le document obtenu par La Presse.

Le ministère fédéral de la Santé demeure engagé à une entrée en service le 30 novembre 2023, en dépit des inquiétudes exprimées par les fonctionnaires au sujet de l’achalandage anticipé. La ministre Bennett doit faire une annonce au sujet de la ligne 988 ce lundi à Toronto.

Avec William Leclerc, La Presse