(Toronto) L’islamophobie et la violence à l’encontre des musulmans sont répandues et profondément ancrées dans la société canadienne, selon les premières conclusions d’un comité sénatorial chargé d’étudier la question.

Les femmes musulmanes qui portent le hijab — les femmes musulmanes noires en particulier — sont les plus vulnérables, et il est difficile de faire face à l’islamophobie dans diverses sphères publiques, a constaté la Commission des droits de l’homme.

« Le Canada a un problème », a déclaré la présidente du comité, la sénatrice Salma Ataullahjan, lors d’un entretien téléphonique avec La Presse Canadienne.

« Nous entendons parler de traumatismes intergénérationnels parce que de jeunes enfants en sont témoins. Les musulmans s’expriment parce qu’il y a tant d’attaques et qu’elles sont si violentes », a-t-elle ajouté.

Le problème est plus grave que ne le suggèrent les statistiques actuelles, selon Mme Ataullahjan.

De nombreux musulmans du Canada vivent dans la crainte constante d’être pris pour cible, en particulier s’ils ont subi une attaque islamophobe, s’ils en ont été témoins ou s’ils ont perdu un être cher à cause de la violence, a constaté la commission.

« Certaines de ces femmes avaient peur de sortir de chez elles et il leur était difficile d’emmener leurs enfants à l’école. Beaucoup se sont fait cracher dessus, a déclaré la sénatrice. Les musulmans doivent constamment regarder par-dessus leur épaule. »

Le mois dernier, des chiffres publiés par Statistique Canada indiquaient que les crimes haineux visant les musulmans signalés par la police avaient augmenté de 71 % entre 2020 et 2021. Le taux de crimes était de huit incidents pour 100 000 membres de la population musulmane, d’après les chiffres du recensement.

Rapport en rédaction

Les travaux du comité sénatorial ont débuté en juin 2022, peu de temps après que quatre membres d’une famille musulmane soient morts écrasés par une camionnette alors qu’ils se promenaient le soir à London, en Ontario. Un homme est accusé d’avoir commis un meurtre lié au terrorisme.

Les sénateurs, analystes, traducteurs et autres membres du personnel du comité se sont rendus à Vancouver, à Edmonton, au Québec et dans la région du Grand Toronto pour s’entretenir avec des Canadiens qui fréquentent des mosquées, des musulmans victimes d’attentats, des enseignants, des médecins et des responsables de la sécurité, entre autres.

Les conclusions de ces entretiens sont maintenant rassemblées dans un rapport, que la commission a commencé à rédiger cette semaine, a indiqué Mme Ataullahjan.

La version finale du rapport, qui devrait être publiée en juillet, devrait inclure des recommandations sur les mesures à prendre pour lutter contre l’islamophobie et sur la manière dont le gouvernement peut mieux soutenir les victimes d’attentats.

Parmi les conclusions de la commission figure une observation selon laquelle les attaques contre les musulmans semblent souvent se produire dans la rue et semblent être plus violentes que celles visant d’autres groupes religieux, a déclaré Mme Ataullahjan.

Les analystes et les experts interrogés par le comité sénatorial ont déclaré que la montée des groupes haineux d’extrême droite et des groupes antimusulmans figurait parmi les facteurs à l’origine des attaques contre les musulmans, a indiqué la sénatrice.

La commission s’est penchée sur les cas de femmes musulmanes noires d’Edmonton qui ont été violemment agressées ces dernières années.

« Certaines d’entre elles étaient assises devant nous et tout le monde avait les larmes aux yeux parce qu’il n’est pas facile de raconter son histoire, surtout quand on a été blessé », a relaté Mme Ataullahjan.

La fusillade de 2017 dans une mosquée de Québec, lorsqu’un tireur a ouvert le feu, tuant six fidèles et en blessant plusieurs autres, est un autre exemple d’islamophobie violente, a-t-elle déclaré.

Le rapport du comité sénatorial abordera également les violences récentes contre les musulmans, notamment une agression présumée à l’extérieur d’une mosquée de Markham, en Ontario, où des témoins ont déclaré à la police qu’un homme avait déchiré un Coran, crié des insultes raciales et tenté d’emboutir les fidèles avec une voiture.

La commission détaillera également les agressions quotidiennes contre les musulmans canadiens, y compris les témoignages de jeunes filles portant le hijab dans les écoles qui ne se sentent pas à l’aise pour signaler les cas d’islamophobie à la police, a déclaré Mme Ataullahjan.

Un rapport attendu

Le Conseil national des musulmans canadiens a déclaré que les premières conclusions correspondent à ce qu’il observe et tente d’informer les responsables gouvernementaux depuis des années.

« Nous sommes heureux que cela soit fait, a déclaré le porte-parole Steven Zhou. C’est un sujet sur lequel tout le monde doit se pencher. C’est un problème qui s’aggrave. »

Le conseil reçoit chaque jour des appels de musulmans de tout le Canada qui signalent des cas d’islamophobie, a indiqué M. Zhou, ce qui souligne la nécessité d’agir.

Les gens n’aiment pas signaler ce genre de choses. Il leur en faut beaucoup pour aller devant les tribunaux ou parler à la police, qui ne comprend peut-être pas exactement ce qu’ils ont vécu.

Salma Ataullahjan, sénatrice et présidente du comité sénatorial

M. Zhou a déclaré qu’il s’attendait à ce que la commission fasse des recommandations similaires à celles que le conseil a déjà formulées, notamment des modifications de la législation sur les crimes haineux, l’élaboration de politiques visant à empêcher les groupes haineux de se rassembler près des lieux de culte et une législation pour lutter contre la haine en ligne.

Le Conseil national des musulmans canadiens espère également que le rapport aidera les Canadiens à se familiariser avec la communauté musulmane.

« Nous voulons nous attaquer à la haine, a-t-il déclaré. Mais il s’agit aussi de jeter des ponts. Il faut que les gens apprennent à connaître l’islam, qu’ils apprennent ce qu’est réellement cette religion, comment fonctionne la communauté. »

Note aux lecteurs : dans une version de cette dépêche transmise le 19 avril, La Presse Canadienne rapporte erronément que les travaux du comité sénatorial ont débuté en juin 2021. Dans les faits, ils se sont amorcés en juin 2022. Les manchettes ont également été modifiées pour refléter que la rédaction du rapport n’est pas terminée.