(Nassau) Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé une nouvelle série de mesures en soutien à Haïti, jeudi, aux Bahamas, notamment une aide humanitaire et certains navires de guerre pour aider à la surveillance.

Mais il s’est abstenu de proposer le type de force militaire que le premier ministre haïtien non élu Ariel Henry demande, alors que certains observateurs l’exhortent à ne pas adhérer à la suggestion d’une telle intervention militaire étrangère.

M. Trudeau a déclaré lors d’une réunion de 20 dirigeants de la communauté des Caraïbes (CARICOM) que le Canada fournira 12,3 millions en nouvelle aide humanitaire au pays déchiré par la crise et 10 millions à l’Organisation internationale pour les migrations pour soutenir les migrants dans la région.

Le Canada est prêt à aider. Mais nous savons par expérience difficile que la meilleure chose que nous puissions faire pour aider est de permettre aux leaders haïtiens eux-mêmes de tracer la voie de sortie de cette crise.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

M. Trudeau a également promis d’envoyer des navires de la Marine royale canadienne sur la côte haïtienne, à la suite de survols de surveillance plus tôt cette année et d’un plan existant visant à envoyer davantage de véhicules blindés.

Ottawa redéploiera les NCSM Glace Bay et Moncton depuis l’Afrique de l’Ouest, ainsi que leurs 90 marins, a annoncé le ministère de la Défense. Ils effectueront des « patrouilles de présence » axées sur les eaux autour de la capitale, Port-au-Prince.

« On sait que d’avoir une présence maritime dans la baie va […] certainement dissuader les gangs d’utiliser la mer pour continuer leurs efforts de violence contre […] le peuple haïtien », a dit M. Trudeau en réponse à une question sur la pertinence de l’envoi de navires.

« On a vu dans le passé que d’avoir un navire […] faisait une grosse différence et on est là pour soutenir la mission de sécurité de la police nationale haïtienne », a-t-il ajouté.

D’autres sanctions

Le Canada sanctionne également deux autres Haïtiens, l’ancien président par intérim Jocelerme Privert et l’ancien assistant politique Salim Succar. Ils ont été ajoutés à une liste de 15 membres de l’élite déjà exclus des transactions économiques au Canada en raison de liens présumés avec les bandes armées qui ont pris le contrôle d’Haïti. M. Trudeau a déclaré qu’il poussait ses alliés à intervenir et à faire de même.

« Tant que les élites et les dirigeants haïtiens ne seront pas tenus responsables de leur rôle dans cette horrible crise en Haïti, nous ne pourrons pas y faire face. Nous devons nous attaquer aux causes profondes, pas seulement aux symptômes », a déclaré M. Trudeau aux journalistes.

« C’est pourquoi nous continuerons d’intensifier les sanctions et d’exhorter tous nos amis et alliés à faire de même », a-t-il ajouté.

M. Trudeau a déclaré avoir eu jeudi matin une conversation « constructive » avec Ariel Henry, qui agit en tant que premier ministre du pays, mais n’a pas été élu à ce poste. La conseillère à la sécurité nationale Jody Thomas était dans la salle et prenait des notes, tout comme Bob Rae, l’ambassadeur du Canada à l’ONU, et Sébastien Carrière, son ambassadeur en Haïti.

Ariel Henry a pris le pouvoir après l’assassinat en 2021 de l’ancien président Jovenel Moïse.

Lors de brèves remarques en présence de médias, il a insisté auprès de M. Trudeau sur le fait qu’il souhaitait de toute urgence que le pays travaille à des élections transparentes malgré la détérioration de la situation sécuritaire.

L’activité des bandes armées a paralysé l’économie d’Haïti et accéléré la résurgence du choléra. Un rapport des Nations unies la semaine dernière a fait état « de fusillades, d’exécutions et de viols ». La police n’a pas réussi à contenir la violence généralisée.

Ariel Henry souhaite voir une force de sécurité externe pour apaiser le chaos, et les États-Unis et les Nations unies ont signalé leur soutien à une telle intervention, Washington suggérant que le Canada pourrait jouer un rôle de premier plan.

Certains pays des Caraïbes, dont la Jamaïque et les Bahamas, ont préparé le terrain pour les réunions de Nassau en s’engageant publiquement à contribuer à une force si elle est créée.

Pas d’appuis populaires à une intervention

Mais le peuple haïtien lui-même n’a pas demandé une telle chose, a déclaré Jean Saint-Vil, un chercheur haïtien de l’Université McGill. Ils soupçonnent qu’il s’agirait en soi d’une intervention « impérialiste », a-t-il affirmé. M. Saint-Vil a fait valoir en entrevue que la personne qui fait la demande d’une telle intervention n’est pas en poste légalement, et qu’il est accusé d’avoir participé à l’assassinat de son prédécesseur, une accusation qu’il a niée.

« L’État haïtien a été pris en otage », a dit M. Saint-Vil.

Mario Joseph, procureur général du Bureau des avocats internationaux basé à Port-au-Prince, a déclaré dans une lettre adressée en novembre à la Communauté des Caraïbes qu’une intervention internationale soutiendrait le gouvernement de facto inconstitutionnel, corrompu et répressif et étoufferait les légitimes contestations.

Le procureur Joseph a rappelé que la dernière grande mission de stabilisation de l’ONU en Haïti, qui a fonctionné de 2004 à 2017, a préparé le terrain pour le retour en force de la violence des gangs et a laissé Haïti moins démocratique qu’à son arrivée.

« Nous ne voulons pas que nos frères et sœurs de la communauté des Caraïbes viennent avec des armes pour aider des pays puissants à nous imposer un régime répressif. », a-t-il ajouté.

L’organisation International Crisis Group a fait valoir dans un récent rapport que l’effondrement de l’État haïtien et la gravité de l’urgence humanitaire justifient de plus en plus les préparatifs d’une mission. « Mais son déploiement devrait dépendre d’une planification adéquate pour opérer dans les zones urbaines et du soutien des principales forces politiques d’Haïti, y compris leur ferme engagement à travailler ensemble pour créer un gouvernement de transition légitime », indique le rapport publié en décembre.

Bob Rae, l’ambassadeur du Canada aux Nations unies, a déclaré aux journalistes à Nassau mercredi soir qu’une solution doit venir de l’intérieur de la société haïtienne et être exécutée par la police haïtienne.

Bob Rae et Sébastien Carrière, l’ambassadeur du Canada en Haïti, ont tous deux déclaré que le régime actuel doit jouer le jeu sur les demandes de l’opposition pour une élection. « Il est vraiment difficile de s’attaquer sérieusement au problème de sécurité si une seule faction de la classe politique y prend part, selon l’ambassadeur. Un consensus politique plus large aiderait grandement à restaurer la confiance des gens dans leurs institutions, y compris la police. »

Une intervention étrangère reste « très impopulaire » en Haïti, d’après Brian Concannon, directeur exécutif et co-fondateur de l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti. « Les troupes iraient combattre les gens qu’elles devaient protéger. Et les gouvernements du Canada et des États-Unis ne veulent pas qu’aux nouvelles, on constate que leurs soldats, pour la plupart blancs, tirent sur des civils haïtiens », soutient l’ancien responsable de l’ONU et avocat des droits de la personne. « Donc, ils essaient de faire en sorte que quelqu’un d’autre soit le visage de cette mission. »

D’autre part, Brian Concannon affirme que des collègues sur le terrain lui signalent que les initiatives canadiennes pour sanctionner les élites accusées de soutenir les gangs ont été utiles. « Il est difficile de prouver quoi que ce soit, mais ils pensent que cela a un impact. »